Pacotille clinquante
Sous ses couverts de super-production avec de superbes décors naturels, de nombreux figurants et des milliers de costumes colorés, ce South Shaolin Master cache un film sans saveur avec des acteurs nuls qui n'est sauvé que par son foisonnement haut en couleur et quelques combats très bien chorégraphiés.
L'histoire tente de narrer l'histoire Lin Hai Nan, un opposant au régime de la dynastie Ching qui tombe dans un piège tendu par ses ennemis alors qu'il s'apprêtait à remettre une forte somme d'argent servant à la cause au résidant en chef d'un temple. Blessé, il réussit à s'échapper de justesse et et recueilli par une troupe de théâtre. Il se lie d'amitié avec ses membres.
Les milices Ching ne tarderont pas à le retrouver et mettront à mal ses vélléités d'échappatoire en tuant un membre de la troupe. La vengeance deviendra la raison d'être du révolutionnaire Lin Hai Nan.
L'histoire n'est en rien révolutionnaire elle, pour un film qui narre les aventures d'un révolutionnaire. C'est presque pathétique tellement c'est mal amené par un réalisateur qui semble plus doué pour le documentaire naturiste vantant les merveilles de la Chine ancestrale, ce qui d'ailleurs permet de nous faire découvrir de splendides décors naturels, que pour raconter une histoire consistante.
Le héros n'est en rien passionant, il est en fait désigné d'office, sans raison, si ce n'est de représenter le héros du peuple contre la tyranie. On sent une sorte de positionnement qui fleure bon le militantisme.
Pur produit mainland, ce South Shaolin Master bénéficie de moyens considérables et le réalisateur ne se gêne pas pour nous le montrer. Mais de par son ardeur à filmer le clinquant, il oublie parfois l'essentiel, sa ligne directrice. Ses personnages se perdent dans les méandres de l'inconsistance. Les méchants son méchants car désignés comme tel et inversement pour les bons.
Les combats quant à eux sont plutôt réussis et montrent d'assez impressionantes chorégraphies. Ils sont d'ailleurs l'unique intérêt de cette oeuvre luxueuse qui gâche rapidement son potentiel de par un manque de discipline et une faible teneur dramatisante.
Franchement oubliable.
Un old-school fastueux et bon pour le peuple...
Un contexte historico-"coco"-culturel particulier
Première chose qu'il faut avoir à l'esprit : ce film est un pur produit de la politique de réforme et d'ouverture de Deng Xiaoping (bien que ce dernier ne soit pas crédité au générique...).
Le but premier du film ne sera donc pas forcément l'art, le divertissement ou le commerce (quoi qu'en parti pour ce dernier point car produit par la Hua Wen Film Co., une entreprise privée réputée "indépendante").
Plus que probablement outil de propagande donc, car film des années 80 en République Populaire de Chine, même produit par les studios Hua-Wen, "The South Shaolin Master" n'a aucune chance de ne pas être un élément du nouveau mode de communication de la ferveur patriotique sous cette nouvelle forme en apparence plus moderne, plus ouverte, incluant notamment la richesse culturelle et historique du pays comme élément fédérateur du peuple.
C'est à cette occasion qu'après les années de semi-interdiction de la révolution culturelle (en fait, autorisation sous contrôle du parti ayant conduit à une dénaturation vers une forme purement gymnique "bonne pour le peuple", vidée de ses valeurs traditionnelles), les wushu (aussi nommés "guoshu", techniques du pays) ont enfin été sortis de leur mouroir pour redevenir une fierté nationale, partie intégrante d'un héritage culturel à redécouvrir. Cela dit, la réhabilitation ne sera que partielle, limitée à la partie visible (l'effort et la souffrance pour arriver à la performance), et il restera hors de question d'y faire figurer les valeurs traditionnelles qui en constituent le fond (concentrées sur la relation maître-disciple). On aboutira ainsi à la notion de "wushu moderne", technique et démonstratif.
Autre détail qui peut avoir son importance : étant un des premiers grands kungfu-pian chinois (avant les années 80, pas de wushu, pas de films de kungfu non plus), on y décèlera forcément un héritage des formes dramatiques très figées en RPC pendant la révolution culturelle (dans la mise en scène et le jeu des acteurs), très différents de nos habituelles productions HK par ailleurs pour la plupart antérieures (la Chine s'étant "réveillée" sur le sujet alors que le genre old-school était déjà déclinant au box-office HK).
Tout cela concourre pour le spectateur occidental de notre époque à une ambiance particulière, un ton "Mainland" (fierté, simplisme et démonstration) que l'on retrouvera également dans
Shaolin Temple (1982), le vrai grand initiateur du genre, ou
Shaolin Temple 2: Kids from Shaolin (1984) ainsi que dans
Yao's Young Warriors (1983),
Arhats in Fury (1985) ou
The Queen of Tibet (1986), trois autres grosses productions ou co-productions historico-martiales de la Hua Wen Film Co.
Le film
En soi, "The South Shaolin Master" est un kungfu-pian tout à fait dans les normes simplistes du genre old-school : d'un coté les gentils (un membre de la révolte des taiping associé à d'honnêtes artistes itinérants), de l'autre coté les méchants (le pouvoir Qing, même pas des hans - pas des vrais chinois - et divers corrompus à leur botte), une défaite cuisante des gentils qui iront se réfugier au temple de Shaolin pour s'y préparer à une vengeance qui éclatera lors d'un final tout en combats.
La dessus, le développement de l'histoire est tout à fait classique et suit une ligne directrice basique mais relativement cohérente, réservant son lot de nouveautés au fil de l'histoire et permettant surtout d'y intégrer de nombreux affrontements. L'humour y est également présent mais dans un genre différent des productions HK, car jouant d'avantage sur une légèreté de ton et de situation que sur des ajouts de gags.
Maintenant, étant donné le contexte énoncé, on trouvera sans étonnement une réalisation flirtant avec le documentaire aux accents partisans ("regardez camarades comment qu'il est beau not'pays et qu'elle est belle not'culture"). Mais celle-ci prend habillement garde à ne le faire qu'à bon escient, sans que cela ne vienne interrompre le récit. On aura donc droit à quelques magnifiques images des paysages chinois et à une vision détaillée des décors d'une salle du temple bouddhiste local. Mais le morceau de choix en la matière est assurément la course de bateaux dragons géants proposée en ouverture de l'accomplissement de la vengeance finale. D'une certaine manière, cette scène peut être vue comme un équivalent aux danses de lions illuminant des films comme
La Danse du lion,
Le Tigre Blanc ou
Roar of the Lion.
Cependant, il y a tout de même une partie essentielle du film pour laquelle ce parti-pris documentaire constitue rapidement une gène : les combats. Il est évident que ce film avait dans ses buts premiers de montrer que le wushu est une extraordinaire spécialité chinoise de Chine. Mais cela prendra vite l'apparence d'une démonstration de championnats, passant d'un groupe de combattants à un autre et d'une technique à une autre (épée, sabre, bâton, corde, crochets, trident, panier, boxe, lutte,...). Résultat : autant cela ébloui les yeux par un foisonnement technique effectivement impressionnant, autant les intervenants au final beaucoup trop nombreux s'effacent totalement derrière leurs prouesses techniques. On abouti ainsi à une dédramatisation d'une bonne partie des combats. Ceux-ci représentant eux-même une bonne partie du film, sa part dramatique globale s'en trouve réduite d'autant.
Et on arrive là au principal problème de ce film qui est qu'on ne peut pas s'attacher aux personnages. Personnellement, en plus de celle précitée, j'y vois deux raisons principales : premièrement il s'agit d'un old-school kungfu classique repris du modèle HK, un genre globalement plus enclin à l'exutoire manichéen qu'à l'empathie ; deuxièmement, pour une raison idéologico-coco-culturelle expressément appliquée, toute identification n'est prévue que pour s'y faire à un groupe et non à un individu. Il y a bien un héros qui guide l'ensemble mais il est toujours comme détaché du reste de la troupe (lui, il a sa mission et ce n'est pas vraiment à lui que les évènements dramatiques arrivent). Il en va d'ailleurs ainsi pour le combat final qui sera découpé par groupes identifiés, chacun obtenant sa part de vengeance : le peuple, la troupe d'artistes (dont un sous-groupe des femmes) et finalement LE héros qui, après cela, quittera l'aventure comme il y était entré, laissant le reste du monde à ses affaires.
Pour le reste, on sent la volonté de bien montrer soutenue par des moyens manifestement conséquents et en tout cas hors normes pour ce genre de productions. Il en résulte une qualité technique tout à fait appréciable, jusqu'à la musique originale dotée d'un thème fort digne des compositions les plus marquantes de feu James Wong Jim.
Verdict
Purement en tant que film, "The South Shaolin Master" constitue un old-school dans la bonne moyenne du meilleur du genre. Bien filmé, sans originalité scénaristique mais très correct sur le plan narratif et compensant sa faiblesse dramatique par un véritable festival technique lors des nombreux combats.
En tant que film né d'un contexte historico-coco-culturel particulier, "The South Shaolin Master", par son coté démonstratif et partisan, en constitue un documentaire extrêmement parlant si tant est qu'on prenne la distance idéologique nécessaire.
Par conséquent, un film fortement conseillé tant aux amateurs de wushu bien technique qu'aux curieux de l'histoire chinoise contemporaine. Ou même à toute personne souhaitant faire une jolie petite ballade.
Moi, j'apprécie triplement !...