Visuellement ancré dans son époque et amusement de tous les instants
Ce tourbillon dans l'esprit tordu d'un cinéaste raté du film porno est l'occasion pour Imamura de peaufiner son étude sur le sexe dans une société qui ne lui laisse plus beaucoup de place. L'étude est géniale, puisqu'en plus d'être acerbe et ludique, elle est d'une drôlerie rappelant les oeuvres populaires de la Nikkatsu à l'époque où Suzuki Seijun cassait la baraque avec ses polars et films d'action au rythme effréné. Le Pornographe c'est une sorte de documentaire sur une famille déjantée malgré elle : Ogata, le "père" de famille est l'aventure d'Haru, femme déséquilibrée depuis la mort de son mari. Elle n'est pas la seule à être déséquilibrée puisque ce même Ogata ne semble pas bien sûr de ses relations et éprouve quelques sentiments pervers pour sa belle fille, Keiko, sorte d'adolescente (elle est alors âgée de 15 ans) mollusque traînée sur les tournages clandestins de films pornos et incapable de se plonger dans ses études. Haru a aussi un fils, Koichi, mollusque lui aussi en pleine découverte de son corps, s'inventant des maladies pour avoir un "contact" charnel (même avec sa mère). Ogata n'est pas seulement qu'un réalisateur de film porno tournés en 8mm, il vend aussi des produits médicaux pour redonner vigueur et force à ces messieurs, mais paradoxalement, Ogata devient au fur et à mesure que le temps passe et que sa femme dégénère, impuissant. Imamura dépeint cette joyeuse famille non sans cynisme et casse les tabous sociaux avec la vigueur de l'homme fort : Ogata qui espionne sa belle fille en petite tenue jusqu'à renifler les petites culottes (ces dernières faisant encore aujourd'hui office de fantasme au Japon, au même titre que le sailor fuku traditionnel), le fantasme de casser les barrières légales en s'essayant à l'inceste "administratif" (Keiko n'étant pas sa fille de sang) ou en tournant des métrages pornographiques avec le premier gus venu, l'une des premières séquences rappelant encore que seul "l'engin" compte face à la caméra, puis la multiplication de petites scénettes amusantes ou imagées, notamment lorsque Ogata et Haru se touchent furtivement, la caméra étant placée de telle manière à ce que le visage de cette dernière fusionne avec l'eau de l'aquarium, filmage non sans évoquer l'idée du plaisir "humide" et de la tromperie, Haru s'étant promise de respecter la mort de son mari en restant veuve et l'aquarium (et la carpe à l'intérieur) de symboliser l'espace où git l'esprit de ce dernier. La séquence finale où Ogata finit de concevoir son objet qui lui redonnera peut-être du plaisir finit de nous achever quant à la représentation de la cassure des tabous.
En plus d'être particulièrement loufoque tout en restant critique et drôlement sérieux dans ses propos, Le Pornographe est aussi une petite merveille de technicité. La Nikkatsu pouvait être encore une fois fière d'avoir dans ses rangs un cinéaste comme Imamura, ce dernier n'hésitant pas sur les moyens pour bouleverser le code visuel : filmage souvent très éloigné de l'action, derrière une paroi ou une porte laissant apparaître une petite brèche pour que le cinéaste -et le voyeur- puisse scruter les moindres faits et gestes des protagonistes, déstructuration du cadre dont un formidable plan de travers sur un rituel Bouddhiste, un autre en plongée sur un fauteuil tournoyant (ou comment donner la définition au pop'art), une belle part donnée à la profondeur de champ avec ce magnifique mannequin qui avance lentement vers le cadre avant de l'illuminer au sens propre et figuré par son sourire éclatant, ce plan en plongée à travers l'aquarium, ce plan-séquence dans une salle aux motifs baroques où des couples s'embrassent goulûment et où Ogata tente de retrouver un peu de fougue sexuelle accentuée par la réplique "Les orgies amènent à la liberté", admirable de sens et de représentation sexuelle métaphorique. De plus, Imamura semble privilégier les petits espaces, comme si les personnages étaient enfermés dans leur propre bêtise, leur propre délire. On apprécie aussi l'onirisme de certaines séquences, dont l'une des plus impressionnantes où Haru tente de franchir les barrières de sa folie, isolée en pleine rase campagne chimérique (sous une musique rock'n roll incroyablement punchy). Le film regorge de séquences audacieuses sur le plan formel et apportent du vrai à cette entreprise hypocrite sur le sexe. Imamura a frappé un joli coup avec Le Pornographe, frisant l'hystérie la plus totale lors de sa dernière demie heure. Soufflant, malgré quelques petites longueurs du fait de plans parfois trop étirés.
Le pauvre coeur des hommes
LES PORNOGRAPHES est à la base un livre écrit par Akiyuki NOSAKA,l'auteur de LA TOMBE DES LUCIOLES .Etonnant récit picaresque et souvent émouvant ,c'est sans conteste un des chefs-d'oeuvre de la littérature japonaise des années soixantes.IMAMURA en a donc peu de temps aprés,réalisé cette adaptation trés fidèle, et ce n'est pas étonnant quand on connait l'univers propre au cinéaste.
Beaucoup de points communs en effet pour cette rencontre de deux talents:la même vision amusée,presque bon-enfant mais sans concession et profonde des travers de l'homme, aucun part-pris moral,une cocasserie des personnages toujours aux lisères de la société et de la légalité,la liste est encore longue.Ces PORNOGRAPHES renvoient directement aux héros de L'ANGUILLE et à leur particularisme.
Le film ,dans un noir et blanc élégant,est la chronique d'un vendeur de matériel médical qui s'est aussi spécialisé dans le commerce du sexe sous toutes les formes:édition,photos,tournage de films,location de (fausses) vierges,orgies,etc...Une profession parallèle vécue comme un sacerdoce par le héros principal,ou comment donner du bonheur à ses contemporains.Mais sa vie à lui n'est pas des plus simples,avec sa concubine veuve d'un précédent mariage et mère de deux jeunes gens difficicles à gérer.Les péripéties sont montrées au jour le jour,par un montage rythmé et une caméra toujours trés inquisitrice,nous devenons les observateurs attentifs de l'existence de ce type,grace à des plans serrés,des plans fixes,et une accumulation de décors hétéroclites chargés de multiples objets qui authentifient l'aspect reportage voulu.
Les situations sont souvent limite,comme cette séance avec une fille quasi-débile et son père/amant,mais la pudeur affichée pour les scènes de sexe ou de son commerce rendent le tout trés naturel.IMAMURA,comme NOSAKA,ne juge pas ses personnages,il se contente de nous renvoyer à nos propres contradictions,aux faiblesses si humaines et parfois pitoyables que nous connaissons tous.C'est ce qui rend toute cette famille et son entourage si attachants et vrais,ils nous ressemblent.
L'interprétation est remarquable,que ce soit les adultes ou les jeunes héros du film.Et IMAMURA sait à merveille créer un ton, une ambiance de légèreté,qui reste présente tout au long de l'histoire,y compris pour les passages dramatiques,lui permettant d'approfondir sans avoir l'air d'y toucher sa vision humaniste mais critique de la société moderne.
Et la modernité de cette oeuvre saute elle-aussi aux yeux.Je pensais bizarrement à VISITOR Q à la fin de ces PORNOGRAPHES, et je ne sais pas si TAKASHI MIIKE a vû ce film,mais il aurait mieux de s'en inspirer un peu pour cette visison d'une famille "décalée",car le constat est ici aussi plutôt croustillant:le père couche avec la fille,le jeune associé attends de le faire avec sa propre soeur,le grand frère vit avec une prostituée,un autre père tourne des films porno avec sa progéniture attardée,etc...Le tableau est donc bien chargé ,mais la façon de le présenter est toute différente.
Le plus novateur des deux n'est certes pas le plus bruyant,mais déjà en 1966,le sensei IMAMURA avait réalisé cette merveille d'intelligence et de lucidité sur le "pauvre coeur des hommes" et ses vaines agitations .
I think everybody should be a machine!
On entre dans Le pornographe comme dans un téléfilm dont on aurait raté les premires épisodes, et l'on en sort de la même façon: rien n'est vraiment résolu, et tout continue (la voix off ironique à la toute fin du film),... une des dernières paroles de Ogeta: Est-ce alors que va commencer la vraie douleur? On n'en sait rien, on passe à autre chose, un autre type, le premier venu, et ce sera la même mouise, forcément! C'est comme ca.. tu crois qu'un mec sur la terre y comprend quelque chose aux femmes? à lui-même? pas que je sache et de toute évidence Imamura n'a pas une science supérieure à nous proposer à ce sujet. Rien n'est jamais fini, il n'y a jamais aucun recul, aucune distance: la vie c'est le domaine de l'adhésion totale, pour le pire comme pour le meilleur. Les normes, la morale, la société: rien à @!#$! toutes ses choses ne diront jamais rien à l'homme sur lui-même, à part peut-être de façon négative, et encore.... Juger n'est pas comprendre et Imamura se garde bien de tenter de faire l'un et l'autre, ca n'aurait plus aucun intérêt. Vous thésaurisez, vous quand vous baisez? Que reste-t-il alors? montrer, donner à voir un peu de ce bourbier, par fragments, par instants furtifs, par intrusions voyeuristes ou scrutation distante en se disant bien qu'on n'en sortira jamais et que c'est peut-être là qu'est tout le défi et au final tout le plaisir.
L'homme dégonflé
Dans la parfaite continuité de ses deux précédents, "La Femme Insecte" et "Désir Meurtrier", Imamura continue à explorer le rapport de l'homme à la sexualité. Ouvrant la voie aux pinku eiga avec sa "Femme Insecte", il avait dû être surpris de voir les nombreux émules découler de sa propre œuvre et la portée toujours plus grande pour surenchérir par rapport à ses concurrents. Comme pour tourner en ridicule toutes ses productions bassement commerciales tout en conservant sa profonde propre opinion par rapport au sexe, il adapte la brillante œuvre (un sulfureux best-seller ayant fait scandale à sa sortie) d'Akiyuki Nosaka. Gommant certains traits un peu grossiers ou trop outranciers pour une adaptation à l'écran (dans le roman, le pornographe meurt, son sexe en érection), il n'en fait pas moins une ode au genre – dans le respect de la chose.
Dès le départ, Imamura brouille les pistes entre simple représentation et essai autoproclamé: des réalisateurs de films X regardent un film en 8mm, dont l'image s'agrandit jusqu'à devenir le film en lui-même. Stupéfaction des hommes, surpris de voir une carpe en gros plan à l'écran. De même, le film se termine par l'image d'une maison péniche à la dérive se rétrécissant à l'image 8mm et des hommes se dire, qu'ils n'ont RIEN compris et qu'ils feraient mieux enchaîner par un autre film…Imamura revendique donc sa propre contribution au genre, qu'il pense plus subtile que la moyenne et s'adressant à un autre public, que celui des productions à la chaîne. Ce n'est pas un jugement, ni un snobisme quelconque; mais de même qu'il ait décidé de fonder sa propre maison de production, dont ce "Pornographe" sera la première co-réalisation, et de quitter la Nikkatsu, qu'il jugeait trop "commerciale".
Comme dans ses précédents, les croyances (issus du monde rural) jouent un grand rôle et Imamura met ses propres réflexions dans la bouche de ses protagonistes concernant la sexualité (se toucher ne vaut-il pas mieux pour un homme qu'une relation avec une femme?) et l'inceste (il y a mille ans, tous les pères couchaient avec leurs enfants).
Bien qu'affaiblie physiquement, les femmes incarnent la force – et poussent même le héros jusqu'à inventer leur représentation sous forme de poupée pour continuer des rapports charnels sans avoir à se mesurer à leur intelligence de leur vivant.
C'est la première œuvre, où le domaine de la réalité à la fiction se brouillent dans la perception des personnages et donnent lieu à des magnifiques scènes oniriques, telle al folie de la mère, l'omniprésence du mari réincarné en "carpe" (le film entretient plus d'un rapport avec "L'Anguille" avec la carpe, le salon de coiffure, l'homme ancien prisonnier, etc) et une incroyable maison "orgiaque", éclairée à la bougie.
L'aboutissement d'Imamura de sa réflexion sur la sexualité.
Cinéma suggestif.
"The Pornographers" est un film de Imamura Shohei. Mais comme son titre ne l'indique pas, il n'est en rien un film pornographique. Cela est d'autant plus étonnant, puisque Imamura Shohei est un cinéaste qui n'a pas lésiné sur la représentation de l'acte sexuel - ou au moins des attouchements - au cours de sa carrière.
Qu'il soit bestial ("Eijanaika", "La Ballade de Narayama"), raffiné ("Vengeance is Mine") ou métaphorique ("De l'eau tiède sous un pont rouge"), l'acte avait droit à une représentation visuelle.
Mais dans "The Pornographers", l'acte n'est que suggestif. On sait que l'homme a eu des rapports avec la mère et la fille, mais on ne le voit pas. C'est tout juste si on ne pourrait pas décrire des scènes qu'on n'a pas vues, finalement.
Là réside le pouvoir du cinéma, dans la suggestivité qu'il permet. Les ellipses, les hors-champs, les non-dits, et plus généralement, suggérer au spectateur ce qui n'est pas dans le cadre. En montrer le moins possible pour en suggérer le plus possible, en somme.
D'ailleurs, si le cinéma ne devait être qu'affaire de suggestivité, "Stalker" d'Andrei Tarkovsky serait le meilleur film de l'histoire, tenons-nous le pour dit.
Pour en revenir à Imamura, son cinéma est si suggestif qu'on pourrait passer à côté de l'une de ses composantes essentielles. "The Pornographers" est là pour nous le rappeler, le cinéma de Imamura Shohei n'est pas affaire de sexe, mais de femmes. Bien évidemment, on se concentrera sur le sexe, mais comme "The Pornographers" n'en montre pas, tout devient du coup plus clair. Et on comprend alors que dans le cinéma de Imamura Shohei, tout comme dans celui de David Cronenberg, et plus récemment, de Kim Ki-Duk, la femme joue le rôle du moteur de la narration.
Geneviève Bujold et son utérus à trois ouvertures, dans "Dead Ringers" ; Seo Jeong et son mutisme, dans "L'île" ; Shimizu Misa et ses effusions d'eau orgasmatoires, dans "De l'eau tiède sous un pont rouge" ; toutes trois vont faire basculer la vie de l'homme qui va les cotoyer (ou des jumeaux Mantle, dans le cas de "Dead Ringers").
Evidemment, si ces femmes semblent anormales, c'est parceque le cinéaste - masculin dans ces trois cas - exagère par le biais du cinéma, la "bizarrerie" de la femme telle qu'il la conçoit. Mais avec "The Pornographers", Imamura Shohei tente de libérer son personnage masculin de cette bizarrerie avant qu'il ne soit trop tard. Celui-ci crée donc un élément de substitution à la femme, qui en aurait du moins la forme : une poupée (on se rappelera au passage de Masamura Yasuzo et de son "Blind Beast", ou l'homme prenait le chemin inverse).
L'homme s'affranchit alors des contraintes liées à la relation homme/femme. Cela est en même temps très pessimiste et libérateur, mais Imamura Shohei n'oublie pas de nous suggérer en guise de conclusion, et par le biais des images, qu'en fin de compte, ce n'est que du cinéma.