Faux (faire) semblants
Après s'être petit à petit fourvoyé dans des comédies romantiques pour ados de plus en plus mièvres depuis son excellent "Go" jusqu'à son détestable "Closed Note", Yukisada Isao avait déjà fait preuve d'un intéressant retour à ses sources plus indépendantistes avec son "Into the faraway sky" avant de réitérer avec ce "Parade".
Avec "Parade", Yukisada semble faire preuve de la même exigence envers son prorpe public, que les producteurs de "Harry Potter" avec le leur: tous deux ont grandi depuis et "Parade", sous couvert de différents marivaudages et histoires amoureuses n'hésite pas à aborder des thèmes beaucoup plus matures et beaucoup plus proches du public, qui avait 14 / 15 ans au moment de la sortie de "Crying out in the center of the world" en 2004: chômage, entrée dans la vie active, problème de trouver des logements à portée de bourse, amours déçus, recherche identitaire, voire sexuelle, etc, etc.
Recherche identitaire au sein de la société nipponne, qui avait déjà été au centre de ses premiers, "Justice", "Closing Day", "Sunflower" et – surtout "Go" et qui revient ici le thème central. Le sous-entendu est carrément top et parfaitement conclue par la glaçante séquence finale, que pourrait dérouter certains spectateurs prenant ce film pour un simple divertissement, mais très, très, très lourd de sens pour ceux qui voudraient gratter sous la fine couche de vernis…Un thème de plus en plus apparent dans l'actuel cinéma nippon, comme a pu le mettre en évidence la sélection festivalière du programme Kinotayo – et plus particulièrement son décrochage stéphanois organisé par mes soins héhéhé – avec d'autres exemples concrets dans "Vexille", "Crowd of three" et – dans une moindre mesure – "Cobalt Blue" et "Forget me not". "Contenance" est le mot d'ordre, en rien laisser paraître de ses véritables émotions, porter un masque figé pour permettre à la société d'évoluer sans aucune embûche émotionnelle ou individualiste. Une horreur.
C'est finalement le matériau de base, le roman originel de Yoshida Shuichi, qui vaut vraiment de l'or; car force est de constater, que l réalisation de Yukisada n'y rend pas vraiment justice. La faute à sa sempiternelle volonté de privilégier la forme sur le fond avec des magnifiques jeux de lumières chiadées à outrance et – il faut l'avouer – une mise-en-scène assez travaillée, qui rend justice au sentiment d'oppression, que ce soit dans les lieux intérieurs confinés ou des extérieurs toujours barrés par l'ambigüité des angles, le cloisonnement des bâtiments ou d'objets publiques et des arrière-plans "bouchés"; mais les séquences ressemblent davantage à une simple accumulation de saynètes plus ou moins sympathiques et nécessaires pour faire avancer l'intrigue, sans que l'on s'éprend vraiment de passion pour l'un ou l'autre personnage; alors que le squelette même du film appelait à une mise en abyme jubilatoire des sentiments les plus enfouis des uns et des autres, à révéler par le biais d'un personnage trouble ce cher "étranger", source de menace et d'ennuis et – tel l'occupant américain – perpétuel rappel du peuple nippon à des sombres pages de l'Histoire, qu'ils aimeraient laissé enfouis.
Ben, voilà; au-delà d'avoir choisi une réalisation totalement passive à l'image de "l'intrusion" de cet étranger parmi la joyeuse communauté de compètes colocataires, Yukisada passe totalement à côté des quelques séquences-clés, comme celle rappelant "Les Locataires" de Kim Ki-duk ou surtout LA scène finale totalement ratée (en grande partie par le misérable jeu antipathique de l'endive-esque Fujiwara Tatsuya).
En l'état, "Parade" reste un bon divertissement et assurément l'une des meilleures réussites du cinéma japonais en cette année 2010, surtout en ce qui concerne les productions plus spécialement dédiés aux adu-lescents; mais il y avait assurément matière à en tirer un très, très bon film, à défaut d'un chef-d'œuvre…mais là, il aurait valu un vrai artiste au poste du réalisateur.