L'élève et la tortue
Jet Li ne rigole plus et passe aux choses sérieuses…Sentant sans aucun doute le poids de l'âge le peser, lui aussi, doit songer à se reconvertir dans le showbiz impitoyable…Ayant déjà tenté des timides approches dans des rôles plus "dramatiques" (ses différentes incarnations de Fong Sai-Yuk lors des temps morts; My Father is a hero; Danny the dog…), il a même été convaincant dans son rôle parmi les plus sombres à ce jour dans "Les Seigneurs de la guerre"…Mais voilà le tremplin tant attendu, celui de Wang Xincheng, veuf en sursis de mort, qui élève seul un fils autistique de 22 ans. Un rôle dramatique, qui le placerait d'office sur la ligne de départ de la course aux Oscars, si seulement le film avait été tourné aux USA et qui – stratégiquement parlant – est impeccable avec – en ligne de mire – une nouvelle clientèle plus féminine et d'éventuels détracteurs muselés par le choix sensible et délicat du sujet…
Un petit premier film (moins d'un million de dollars) par un ancien scénariste de Chen Kaige (Together) avec – quand même – une putain d'équipe technique, notamment composée par le chef décorateur attitré de Peter Chan et Zhang Yimou, Yee Chung-man, Christopher Doyle derrière la caméra (euh…quelques films de Wong Kar-wai) et…Joe Hisaishi à la musique accompagné par une chanson dégoulinante à souhait de Jay Chou pour emballer le tout. Avec cette équipe en or, on imagine que tous ont plus ou moins dû s'aligner sur le salaire de Jet Li (un dollar symbolique) pour pouvoir se payer leurs services pour un budget aussi modeste.
Bref, la collaboration de tous ces talents se voit (et s'entend) forcément à l'écran avec un film parfaitement emballé, éclairé et sensiblement souligné par la discrète, mais efficace bande sonore.
Quant au film lui-même…il ne démérite pas, sans toutefois pleinement convaincre. S'inscrivant dans la récente lignée des nombreux films chinois à se focaliser sur un handicap physique et / ou mental (sujet longtemps tabou), il a au moins le mérite d'éviter le piège du trop gros pathos et de profiter d'une interprétation inspirée du nouveau venu Wen Zhang dans le rôle de l'autiste. Honorable également le fait de ne pas faire de son personnage un nouveau Rain Man surdoué souffrant du syndrome d'Asperger, qui (rappelons-le) ne représente finalement que 2 % des autistes identifiés. Non, le personnage de Wang Dafu ressemble davantage à un petit enfant dans le corps d'un adulte, qui serait encore en plein apprentissage de la vie et connaîtrait ses moments d'absence, de doute et d'incapacité d'adaptation. Pour côtoyer le monde de l'autisme par le biais du travail de ma femme, il s'agit d'un portrait assez juste, quoique très, très, très édulcoré et embelli pour les besoins du film quand même…Trop peu représentés les vrais moments plus douloureux, trop naïfs ceux de la volonté d'enseigner et d'éduquer, trop lisse le personnage de simple naïf en fin de compte…Mais bon, l'"évolution du personnage est assez juste dans son incapacité d'assimiler en quelques jours les petites choses simples du quotidien, comme celui de s'habiller, prendre le bus ou même serrer la main d'une autre personne. Là encore, chapeau bas aux scénaristes d'éviter les gros drames inutiles, mis à part peut-être la scène facile, car trop évidente, de la "disparition" de Wang Dafu et la quête désespérée de son père, lourdement soulignée par une musique dramatique pour le retrouver.
Très juste également la brève présentation des "centres d'accueil" pour personnages déficientes en Chine, une réalité quasi universelle et que les censeurs ne semblent – pour une fois – ne pas avoir voulu cacher entre tracas administratifs et places manquantes et très select pour pouvoir être capables d'accueillir tous ceux qui en auraient besoin – sans parler du manque de moyens de financements pour aider les nombreuses familles pour la plupart d'origine modeste, incapables de payer placement et / ou traitement médical adéquat.
En même temps, l'histoire est presque trop simpliste dans la volonté de faire profil bas. Trop fictionnalisé pour s'apparenter à du cinéma-vérité, il ne se passe pas non plus suffisamment de choses pour captiver le grand public. On suit donc père et fils dans leur quotidien avec la quête désespéré de l'aîné se sachant condamné à mourir, de trouver un moyen de placement pour son fils. Entre deux visites de centre, l'intrigue s'attarde la plupart du temps sur le centre aquatique, lieu de travail du père, où Wang Dafu profite de la moindre occasion pour piquer une tête dans le grand bassin…Quand on commence franchement à trouver le temps un peu long dans la grande bleue, les scénaristes imaginent vite fait le personnage d'une jongleuse de balles, permettant l'esquisse d'une romance annoncée et la bouée de sauvetage tant espérée pour s'occuper de l'enfant autiste…Ouaiche…
Et Jet Li dans tout cela. Eh bien, il ne démérite pas, même s'il faudra un temps certain d'acclimatation à ses fans (d'action) les plus chers pour l'imaginer père vieillissant d'un enfant autiste, incapable de trouver une solution à ses problèmes, même à coups de poing (jamais utilisés) et avec une voix curieusement haut perchée, très loin de l'image virile que l'on pourrait avoir de lui par ailleurs. Il se fait littéralement voler la vedette par la composition inspirée de Wen Zhang, mais réussit à composer un personnage suffisamment fragile et effacé pour quand même toucher quelque part. Sans valoir le moindre Oscar, ni créer LA révélation de l'année, le choix de son rôle et son interprétation valent beaucoup, beaucoup, beaucoup mieux que tous les rôles combinés d'autres de ses confrères de stars d'actions en recherche de reconversion. Certainement pas un coup dans l'eau et une carrière à suivre – loin d'Hollywood. Bref, très, très loin de ce que laissait craindre cette hideuse affiche chinoise !!