Présenté cette année à Cannes dans le cadre de la sélection Un Certain Regard, Train de Nuit est de ces films qui peuvent aussi bien ravir l'amateur de cinéma calibré pour jouer dans la cour des productions dépressives que dans celle d'un certain cinéma auteurisant là aussi calibré pour se mouvoir gentiment dans les festivals où il passe. Pas un défaut en soit, certes, mais lorsque le film s'habille de prétentions formelles appartenant à une catégorie -axée contemplation- faisant la part belle aux plans longs sensés donner une définition au genre "solitude", il faudra s'armer de patience et d'un certain courage pour apprécier les fondements mêmes de l'oeuvre, sincères et dépeignant la tranche de vie d'une femme bourreau, Hong-Yan, tout ce qu'il y a de plus normale lorsqu'elle n'exerce pas ce triste -mais nécessaire- métier. Hong-Yan aime rejoindre les établissements de rencontre, souvent dansants, lorsqu'elle ne travaille pas. Elle rejoint l'endroit pour tenter de trouver l'âme soeur ou de quoi se réconforter après s'être payé les formalités administratives pesantes comme apporter les preuves d'un meurtre au tribunal, face à l'accusé, ou après avoir logé une balle dans la nuque -parce qu'il le faut- au condamné(e) à mort. Il est d'ailleurs intéressant de noter le comportement de Hong-Yan qui visiblement après chaque exécution -lesquelles ne seront jamais montrées à l'écran- se débarrasse de ses gants qui ont touché l'arme afin de les brûler, comme si cette dernière n'assumait pas son rôle de bourreau.
Et niveau compassion pour cette dernière, le cinéaste ne l'épargne pas, laquelle manquera de se faire violer par un inconnu rencontré dans le palais des fêtes ou par un ouvrier autiste, fils d'une des personnes exécutées par Hong-Yan. Mauvais rôle? Non, l'actrice Dan Liu étant irréprochable du début à la fin, campant un rôle exigeant avec une belle petite maîtrise, pas de trop lorsque le film, si joliment exécuté, manque de personnalité du fait d'une resaucée aigue de ce que l'on a déjà vu dans un film à vocation auteurisante ou auto-labellisé film d'auteur : ce fameux premier plan que l'on ne comprend pas et qui surviendra une heure après, ou comment faire un looping déjà-vu avec l'utilisation du flash-back/flash-forward, cette peinture de la Chine continentale en plein travaux (à part un ou deux endroits, le film ne montre que des décors en ruine ou en reconstruction, c'est selon) sous fond d'aventures vaguement sexuelles ou ce dernier plan laissant le spectateur dans le doute, tranché par un cinéaste qui semble couper court avec une idée du futur, de l'avenir : ce plan où Hong-Yan s'effondre face à son incapacité à se gérer et face au cheval qu'elle voit entrain de se faire maltraiter (séquence assez douteuse, dans le fond) est assez lourde de sens. On attend en revanche de la part de Diao Yi-Nan plus de matière personnelle, plus de prises de risques qui outrepasseront les barrières du film à vocation "zonage", ces corps dénués de tout éclat qui se laissent aller au gré de la vie et d'une routine trop écrasante ont déjà été vus quelque part, ces travellings latéraux, lents, rappellent la construction formelle des chefs d'oeuvre de Tarkovski (certains plans rappellent Le Miroir ou au moins Stalker). Le film est visuellement superbe, c'est certain, mais l'exercice semble dater, tout comme la bande-son alternant l'ignoble et le réussi. Inégal et parfois dispersé, sombre et que trop peu souvent éclatant (le plan-séquence avec la strip-teaseuse, le plus beau du film), Train de Nuit patauge mais intrigue. Un film de contrastes.