Xavier Chanoine | 3.25 | Une réussite du film d'épouvante |
La Maison aux assiettes est le second épisode de la série des « Treize nuits de l’horreur », confié cette fois-ci à un artisan qui aura donné quelques beaux exemples de films d’épouvante bis, plus proches d’une certaine idée que l’on peut avoir d’un cinéma déviant que résolument appliqué. Cet auteur n’est autre qu’Ishii Teruo, personnage qui a acquis depuis une certaine reconnaissance auprès des cinéphiles les plus fous qui voient en L'Effrayant docteur Hijikata (1969) et la série des Abashiri Prison (1965-1967) quelques unes des plus belles pages du cinéma de genre nippon. Avec La Maison aux assiettes, Ishii Teruo n’a pas oublié en chemin les ingrédients qui ont fait le succès de ses œuvres au caractère dérangeant. La douleur est ainsi filmée de manière excessivement spectaculaire, parfois délirante, où les gerbes de sang éclaboussent l’écran déjà chargé en spots de couleurs, créant ainsi un décalage particulièrement intéressant entre classicisme d’époque et mythologie du fantôme revue et corrigée à la sauce Ishii.
Il est ici question de l’assassinat hâtif d’une jeune servante, accusée à tort d’avoir brisé une assiette de valeur, symbole de la puissance d’une grande famille issue de la noblesse. Harrima, le jeune noble, décide donc de la tuer suite aux accusations des autres serviteurs et de son bras droit, malgré tout l’amour qu’il lui porte. Une fois morte, son corps est jeté dans le puits du jardin. Cependant, les serviteurs font face à toute une série de difficultés pour la remonter du puits. Celle-ci est impossible à hisser, son esprit, comme piégé, ne semble pas vouloir « rejoindre Bouddha » comme tente pourtant de la convaincre l’un des serviteurs. Ces derniers sont aussi gênés par d’étranges hallucinations morbides, provoquées par le regard –sublime- de la jeune femme et ces rituels du comptage d’assiettes qui ont entraîné sa mort. Femme hantée par son amour impérissable envers Harrima, son esprit –et sa dépouille- toujours sur Terre n’ont pas choisi le chemin de la paix et font culpabiliser la famille, prête à s’entredéchirer. Suite aux aveux des principaux concernés, révélant alors la supercherie des graves accusations, un combat contre le clan des comploteurs s’annonce, pour terminer dans un véritable bain de sang.
La force de La Maison aux assiettes est de ne faire aucune concession lorsqu’il est question de vengeance et de cruauté. Et si Ishii Teruo n’est pas réputé pour être l’un des plus grands poètes de sa génération, il le démontre d’ailleurs encore ici à travers une violence explosive parfois brouillonne mâtinée de flashs fantasmagoriques, la séquence finale de l’épisode figure pourtant parmi l’une des plus belles jamais vues chez le cinéaste. Le contraste entre le carnage final et la vision absolument poétique de la mort est ici tel qu’il renvoie à la fois à la métaphore du reflet (Okiku est définitivement le double de Harrima par l’amour qu’elle lui porte), de la fleur qui s’épanouit (une nouvelle vie qui s’annonce) et de la légende chinoise des papillons amoureux comme symbole d’esprits qui partent en paix. Une fulgurance poétique bien venue, tranchant radicalement avec les solutions formelles craspeques que l’on est en droit d’attendre de la part d’un tel cinéaste trop souvent inégal, et que l’on nous sert ici avec un plaisir presque insolent.