Jules et Jim à la japonaise
Treize ans après son dernier film, Nobuo NAKAGAWA accepte l'offre de l'indépendant ART THEATER GUILD à réaliser un nouveau film. Dernier métrage avant sa mort deux ans plus tard, cette adaptation d'une pièce de théâtre de Senzaburo SUZUKI sonne comme un véritable film testament et une oeuvre somme dépouillée de tout un pan de la filmographie de NAKAGAWA.
Réalisé avec un budget restreint de seulement 10 millions de yens (ca. 65 000 Euros), le cinéaste réalise un film posé et intimiste. Intrigue centrée tout autour des trois protagonistes principaux, il refuse à ce qu'apparaîtrait aucune autre âme vivante - humaine ou animale (coupant même la caméra, quand un papillon traverse le cadre). Adaptation d'une pièce de kabuki, il parsème le film de pauses théâtrales directement filmées en studio; les extérieurs sont voués à une seule et unique cause : souligner l'importance des apparences trompeuses. Telle que la parfaite harmonie du trio d'amis, leur nonchalance peut cacher des sentiments bien plus troubles; de même, l'eau trouble d'un lac peut être lieu de mort; la beauté d'une cascade peut ôter une vie. NAKAGAWA réussit donc une nouvelle fois de filmer la Nature comme une beauté sauvage, inhérente de danger et de mort.
Une fois l'un des membres du trio tué (?), le cinéaste recourt aux subtiles apparitions fantomatiques typiques de ses kaidan eiga du passé. Inserts par petites touches, principalement des scènes de rêve inquiétantes, le réalisateur brouille une nouvelle fois les pistes quant à avoir s'il s'agit d'hallucinations visuelles uniquement causées par le remords et la culpabilité de l'assassin ou si le fantôme est effectivement revenu d'entre les morts pour hanter son assaillant. En plans brefs et fixes, NAKAGAWA réussit à instaurer un climat trouble et menaçant.
Parfaitement porté par ses trois acteurs principaux - et notamment par l'égérie du cinéma érotique, Junko Miyashita - le métrage pêche parfois par quelques redites inutiles et des longueurs, mais respecte parfaitement l'esprit des anciens kaidan eiga. Une belle résurrection d'un genre désuet et un lucide regard d'un grand réalisateur sur son travail passé; on en regrettant son long absence de la réalisation entre 1969 et 1982.