Anel | 3.5 | |
Xavier Chanoine | 3.25 | Un film de genre très efficace |
Bande annonce
Plus encore que Johnnie To et consorts, Herman Yau est l’un des cinéastes les plus prolifiques de sa génération. Auteur de péloches aussi sulfureuses que personnelles, tous les genres sont passés sous sa main et surtout, continuent d’y passer allégrement. Après un diptyque consacré aux femmes mères et prostituées, puis un thriller futuriste, le cinéaste persiste et signe à nouveau dans le film de genre avec une histoire à dormir debout pourtant guère rassurante et parfaitement bien exécutée. On est évidemment à des années lumières du réalisme prudent et de la chronique douce-amère dont il nous avait habitués le temps de deux beaux films, il rappelle d’ailleurs Gordon Lam pour prouver qu’il est toujours l’un des maîtres de la Catégorie III, toujours capable de mettre en scène des monstruosités entre deux histoires de fantômes en premier lieu inoffensives. Gordon Lam incarne donc Mapking, un chauffeur de taxi depuis son enfance. Un beau soir, un client répondant au nom de Pony souhaite se rendre au village de la Lune et du Soleil, situé à une centaine de kilomètres. Personne ne connait l’endroit, si ce n’est Mapking qui se décide finalement de l’y conduire moyennant une belle somme d’argent. Les deux hommes vont donc s’y rendre, chacun à bord de leur véhicule, pour une ballade sous fond d’histoires surnaturelles. Herman Yau réussit d’ailleurs le paris de captiver son audience avec un matériau n’ayant rien à envier aux séries télé d’épouvante pour enfants que l’on voyait pulluler fut-il une époque sur les chaînes françaises hertziennes, Fais-moi peur, Chair de poule et consorts. Mais le virage mènera davantage vers Les Contes de la crypte que pour un programme pour gosses.
A bord de son camion, Pony (Julian Cheung) installe ce qu’il faut de mystère pour inquiéter son guide. Que transporte t-il ? Son calme apparent cache t-il quelque chose ? Sur la route, Mapking lui raconte une histoire surnaturelle qui s’est déroulé sur le lieu de leur destination il y a une dizaine d’années déjà : un groupe de quatre mobs débarquent chez une femme veuve vivant seule avec son enfant grassouillet, et demandent à être nourris et hébergés. Ils transportent avec eux une mallette contenant argent et lingots d’or et ont du sang plein les mains. Pendant que ces deniers entament une partie de cartes, la jeune femme installe un parcours de bougies à l’entrée de sa maison pour accueillir l’esprit de son défunt mari, censé revenir chez lui sept jours après sa mort. Une des mobs, superstitieux, reste sur ses gardes, tandis qu’un autre, excité par la situation (une jolie femme, seule), s’en va la violer à l’étage, qu’importe le code d’honneur instauré par leur chef. En redescendant pour préparer le repas, la jeune femme attend son mari patiemment face à la crainte de plus en plus grande des gangsters : quelque chose ne tourne pas rond, et le plus superstitieux d’entre eux ne va pas tarder à s’en rendre compte en demandant si quelqu’un parmi eux a fait quelque chose de mal, et si oui, qu’il s’en excuse immédiatement pour ne pas froisser l’esprit du revenant. Incapables de gérer la situation face à un esprit de plus en plus présent et énervé, on le comprend, le repas va tourner au drame. Le film revient alors au moment présent, tandis que les deux conducteurs s’arrêtent sur une aire de repos. En repartant, Pony lui fait comprendre que son histoire n’est pas tout à fait exacte et qu’il a également entendu parler d’une histoire similaire, mais qui elle est véritable. Seuls les personnages, l’époque et le lieu évoqués par Mapking sont inchangés, quant au reste…
On retourne donc au village de la Lune et du Soleil trente ans en arrière, exception faite que les évènements qui s’y sont déroulés diffèrent entièrement. The First 7th Night crée alors la confusion la plus totale chez le spectateur en lorgnant vers la structure d’un Rashomon, c'est-à-dire une histoire racontée sous plusieurs angles différents, multipliant ainsi les points de vue. En revanche dans le cas présent, seul le récit de Pony est exact, à la différence que celui-ci est bien plus tragique que celui de Mapking. Et étrangement, cette histoire et l’enfance de Mapking se retrouvent étroitement liées. Qu’à cela ne tienne, Herman Yau sait raconter une histoire. En tirant un simple road-movie vers des sommets effrayants, le cinéaste nous refait le coup du film de genre efficace, malgré son économie de moyens et ses longueurs. Tourné en grande majorité dans une obscurité étouffante avec la technique de la HD, The First 7th Night profite d’une plastique plutôt léchée en dépit de certains tics formels comme les flashs ou les soubresauts hors propos. Mais le plus intéressant ici n’est pas ce qui se déroule au village de la Lune et du Soleil, pas même les belles ambiances sonores faites au synthétiseur, mais plutôt les surprises qui découlent d’une trame sachant préserver le suspense jusqu’au générique de fin, mêlant spirituel et légende, rappelant combien le cinéma asiatique est unique dans sa manière de détourner les codes. Mais la beauté de la séquence finale ne fait pas oublier les accès de violence sidérants de la seconde partie du film, présents comme pour redire au spectateur que le cinéaste d’Ebola Syndrome ne s’est pas totalement apaisé avec l’âge. Dans une explosion de furie hystérique, laissant de côté les codes du film de fantôme pour foncer droit au but, les corps sont criblés de balles et encaissent la rage des profiteurs. Une fois de plus, tout est une question de gros sous et de femmes, qu’importe le caractère fantastique du métrage. Herman Yau aura réalisé avec The First 7th Night un authentique moment de plaisir jouissif malgré ses défauts, ne faisant pas oublier le cinéaste versatile qu’il est, imprévisible et surtout concerné par les problèmes de société malgré un script qui ne prête pourtant pas à ce genre de réflexion. Faites comme Gordon, passez la seconde et laissez vous tenter.