Zombie flick sur son lit de steampunk torturé
"Que pourrais-je donc écrire de rigolo avant de crever ?" a dû se dire Project Itoh, de son vrai nom Satoshi Itoh, né en 1974 à Tokyo et mort en 2009 - donc à 34 ans - des suites d'un cancer diagnostiqué dès 2001 - donc à 27.
Je cause là de trois adaptations de ses bouquins. Le livre
Genocidal Organ est sorti en 2007,
Harmony en 2008, puis
The Empire of Corpses en 2012, terminé post-mortem par un challenger, Toh Enjoe. Les films sont eux sortis dans le désordre : Harmony et Empire en 2015, puis Genocidal en 2017.
A chaque fois, on tombe sur de l'uchronie ou de la dystopie avec un malaise personnel très prégnant. Double peine. C'est brillant et dense à l'écrit, mais dépressif au possible au rendu. Bien évidemment on a droit à cet aspect clinique et torturé qui a suivi ma "vibe" 90's manga à moi et que je peine à partager, même si je vois bien la réussite du truc (
Attaque des Titans etc, et par ce "etc" je trahis mes lacunes post-2000). J'ai connu la naissance des simili Battle Royale avec
Gantz et autres, mais là côté psy, ça va loin. C'est malade, malsain, méchant, mauvais, destructeur, autodestructeur.. J'ai peur de jouer les vieux cons à constater ça, de rejoindre ceux qui "à l'époque" fustigeaient le nihilisme d'un Peckinpah en regrettant le bon vieux romantisme fordien, par exemple. La roue tourne, ok, mais tout de même, un tel désespoir est affligeant. Ca interpelle quand on estime que les fictions reflètent l'air du temps.
Vues les histoires tordues, on sent que ça aurait mérité soit du feuilleton étalé sur X épisodes (ça s'est fait en mangas), soit une adaptation en film, mais recentrée, synthétique, dotée d'un point de vue. Un nouvel Oshii, clairement, qui aurait su s'accaparer le truc. Avec chacun 2h au compteur, on se doute que ça va coincer. Pour rappel, le GITS d'Oshii, avec tout son contenu, n'atteint pas 80mn. Le résultat ici me rappelle tous ces projets artistiques d'antan de chez Gonzo auxquels manquaient systématiquement un chef cuistot aux fourneaux pour donner davantage de sens, couper, condenser etc.
Dans les faits, sur Genocidal le studio Manglobe s'est mangé un banqueroute en 2015 qui a considérablement ralenti le projet. Son réalisateur Shuko Murase est un animateur clef passé un peu à la réalisation (Ergo Proxy). Idem pour Ryotaro Makihara : ancien animateur clef (chez Keiichi Hara et Yuasa tout de même), puis réalisateur sur The Empire (...), il signe son deuxième film après un Hal de 60mn sorti en 2013, que je ne connais pas (je suis de plus en plus largué, n'en cachons rien). Plus surprenant est le projet Harmony. Studio 4°C + Michael Arias (
Amer béton) appuyé par le vétéran Takashi Nakamura (
A Tree of Palm, un proche d'Otomo aussi vieux que lui). Sur les trois films, Yoshihiro Ike compose des scores très honorables à défaut d'être mémorables, et un certain Redjuice crée le character design. Anguleux, un peu froid et épuré, mais fonctionnel et élégant.
Si aucun des 3 films ne coche la case de la bonne adaptation - ce que je préjuge sans avoir lu les bouquins - aucun ne fait honte pour autant au matériau d'origine ni ne déçoit. C'est suffisamment riche pour satisfaire le curieux. Dans chaque histoire, un protagoniste a pour mission d'aller récupérer un vilain démiurge bavard à Pétaouchnok. En mode post-Oshii, voilà, surtout dans Genocidal qui, avec ses incartades cyber et ses combis thermo-optiques fait le lien. Mais le show est aussi agréable qu'une lentille mal glissée sur la cornée. On ne "kiffe" pas une scène d'action quand un commando façon
Guerre éternelle de Haldeman s'en va tuer des gosses après avoir bénéficié d'un lourd conditionnement chez le psy pour pouvoir faire sauter les barrières morales pendant la tuerie - zéro hésitation. Voilà le gros morceau flingue-cerveau du métrage, car voir un type aller chez son psy AVANT de commettre un massacre, fallait oser ! Puis, à l'issue, de bouffer une pizza avec son buddy devant un match de foot, passage récurrent de la routine du soldat d'élite sans scrupules. Excellente idée que de nous montrer ça 3-4 fois dans le métrage.
Harmony, c'est de la pure SF - un Philip K. Dick award en 2010 - avec soudain une dimension horrifique qui, grâce à une narration foireuse – vous savez, ces pivots pénibles sur un décor en 3D volumétrique – amène une scène de meurtre bien sale que n'aurait pas désavoué, rayon effet, un Brian De Palma. Voire le Gary Sherman du
Métro de la mort avec son plan séquence d'enfoiros. C'est du même accabit : un long passage confort précède du sale qui surgit sans prévenir. Pas de mise en condition, rien : ça claque. Et parvenir à faire ça dans un anime : chapeau. Bon, ensuite ça bavarde trop, c'est même redondant (constante des 3 films que de répéter des trucs ad nauseum), puis ça se termine plutôt mal. Ca meurt, avec parfois une tonalité aussi apaisée que glaçante. C'est content de mourir, ça soulage. Super.
Des trois films, Empire of Corpses semble disposer de davantage de moyens. Zombis + bordel =
Lifeforce de Tobe Hooper, que ça rappelle parfois. Le fun est là épisodiquement – c'est plus cool, on respire - et le final est un vrai délire visuel, mais l'issue reste la même : des démiruges veulent détruire le monde avec force blabla - shoot, shoot don't talk - et le héros se détruit lui-même sur une tonalité un peu absconse. La mort d'Itoh qui intervient au beau milieu de l'écriture de ce roman-ci explique sans doute cela. Si l'on éprouve parfois l'impression de voir une histoire racontée par un zombi, n'en soyons pas surpris : c'était pleinement le cas. On sent aussi que l'écrivain, sur chaque bouquin, s'exprime à la fois à travers le protagoniste et à travers le vilain de service pour expulser les horreurs qui lui traversent le crâne. Grand merci à lui : mieux vaut être un tueur de masse aux commandes d'un roman plutôt qu'à celles d'un Boeing 747.
On trouve des choses très intéressantes dans ces histoires, originales et fraîches, mais toujours au service d'un message à chaque fois mortifère et malaisant. Un auteur est né, oui, et le voilà déjà mort. En laissant derrière lui trois cris qui font mal. Il hurle au-secours longtemps. Lonnnnngtemps. Ca n'est que du bad trip sur papier recouché sur celluloïd. Y'a pas de mal à se faire du mal ? Mec, t'as morflé. Je peine à écrire là-dessus à vrai dire, ça n'est pas engageant. C'est du rebrousse-poil tout ça, malgré les apparats attirants. Un artiste s'exprime, et on ne voit pas toujours ce qu'on a envie de voir, n'est-ce pas, ce qui participe de la diversité, de l'ouverture d'esprit, certes. A petite dose.