visiteur | note |
le singe | 4 |
Manolo | 3.75 |
Phildu62 | 3 |
pomme de pin | 3.5 |
Sauzer | 3.5 |
L'histoire
Se sachant menacé par l'un des principaux lieutenants du gang du Charme Pourpre (Wong Hap alias Tsao Kang) après avoir tué son fils, le chef de l'école Chung Chow (Fang Mien alias Chiang Tzu Chao), organise l'éviction de son principal disciple (Chang Yi alias Han Yu) afin de le protéger et de lui donner le temps de se former pour mener à bien sa propre vengeance envers le puissant chef de ce clan maléfique (Ku Feng alias Lin San Hu). Après le passage des hommes du clan du Charme Pourpre, seuls resteront pour venger l'école détruite la fille du maître (Shih Szu alias Chiang Shang Ching) secourue par le disciple d'une ancienne adversaire vaincue par son père (James Nam Gung Fan alias Ling-Wu Lui), l'une des étudiantes de l'école (Ivy Ling Po alias Yu Fang Fang) ayant perdu un bras lors du combat ainsi que le disciple précédemment écarté, chacun ignorant de la survie des autres avant que leur destin ne les réunisse à nouveau pour l'accomplissement d'une ultime vengeance.
Le film
A plus d'un titre, "Crimson Charm" tient une place à part dans la carrière de son réalisateur. Première réalisation solo officielle de Huang Feng en même temps que dernière participation à la filmographie Shaw Brothers (il suivra ensuite Raymond Chow - alors lui aussi membre du staff SB - pour l'accouchement de la Golden Harvest), il contient également bon nombre d'éléments que l'on retrouvera dans le meilleur de sa (courte) carrière à venir. Et en ce sens, bénéficiant de plus du luxe de moyens d'un grand studio alors au mieux de sa puissance et de sa créativité, "Crimson Charm" peut être considéré comme une forme de quintessence annonciatrice dans la filmographie de son réalisateur/scénariste. Tout d'abord au niveau de son scénario touffu, adapté par Huang Feng lui-même d'une nouvelle de Zhuge Qingyun (une association d'amoureux de littérature, d'aventure romanesque et de cinéma qui se reformera la même année à la Golden Harvest pour "The Fast Sword"). Ici, tout semble multiplié, organisé selon un récit en deux époques pour deux histoires de vengeance (dont l'une s'avérera même double) et partagée par deux couples de héros, offrant ainsi l'occasion de présenter et de relativiser cette valeur si traditionnelle de l'honneur héroïque sous différents abords en fonction des personnages et de leur passé. Mais bien que d'une complexité et d'un contenu dramatique plus chargé que la moyenne, l'histoire n'en reste pas moins d'une grande clarté par ses personnages bien dépeints et son récit parfaitement géré, de manière linéaire mais sans qu'aucun détail pouvant apporter à la compréhension de l'ensemble ne soit laissé au hasard. Un beau travail d'écriture ménageant par ailleurs une grande variété de rythmes et qui se trouve enrichi par une réalisation à l'unisson, toujours aussi sobre stylistiquement mais rendant avec précision l'ambiance de chaque scène. Cela dit, une belle histoire, aussi bien montrée soit-elle, ne serait pas grand-chose sans des interprètes à même de la porter au coeur du spectateur. Et pour cela la production a su faire appel à une brochette d'acteurs de tout premier ordre, la grande Ivy Ling Po et le taciturne Chang Yi en tête. Ivy Ling Po, la parfaite héroïne dramatique (et aussi l'une des premières stars combattantes du ciné HK) tient ici l'un de ses rôles les plus complets avec "Between Tears and Smiles" (1963), mélangeant avec un métier consommé son art de la comédie avec une implication physique allant bien au delà des classiques tels que "Lady General Hua Mulan" (1964) de Griffin Yueh Feng (à ce titre, on pourra également apprécier son rôle dans l'étonnant "The Mighty One" de Joseph Kuo sorti cette même année 1971 par la Shaw Brothers - et oui, Joseph Kuo à la SB !... - dans lequel elle tient un rôle très similaire, jusqu'à certains pouvoirs télékinésiques de son personnage). Quant à Chang Yi, en digne "Charles Bronson chinois", il signe sans trop de surprise une belle prestation de héros intègre et aveuglément respectueux des règles mais tourmenté par un passé et des évènements qui le dépassent, quelque part entre ses compositions précédentes pour les excellents "The Thundering Sword" (1967) de Chui Chang Wang et le "Bells of Death" (1968) de Griffin Yueh Feng. Et en dehors de ces deux personnages centraux, le film accorde également une place de choix, humaine et bien détaillée, à chacun de ses rôles secondaires "bons" comme "méchants" interprétés par Fang Mien, Wong Ching-Ho, Ku Feng, Wong Hap ou encore le coréen nouveau venu à Hong-Kong James Nam Gung Fan. Seule Shih Szu dont il s'agit de la première apparition à l'écran pourra sembler parfois en dehors du coup avec ses mines de timidité trop appuyées et peu naturelles (ce sera d'ailleurs également sur elle que portera la seule vraie faiblesse du récit, laissant la conclusion de l'aventure un peu à part pour son personnage). Malgré tout, on lui pardonnera facilement en regard de son jeune age (elle n'avait alors que 17 ans) et de sa carrière à venir. Quoi qu'il en soit, tous signent ici d'excellentes prestations tant dramatiques que martiales, faisant pour ce dernier cas au mieux de leurs capacités et la réalisation ainsi que les chorégraphies efficaces de Han Kuo de se chargeant de compenser les éventuelles faiblesses de certains sans que cela ne porte préjudice à la qualité globale des scènes. A propos des combats, on pourra d'ailleurs noter que Han Kuo était déjà à l'oeuvre sur le "Iron Buddha" (1970)" du vétéran Yen Chun que co-réalisait Huang Feng un an plus tôt, assisté pour ses chorégraphies d'un certain Chu Yuan Lung (c'est à dire notre bon ami Sammo), apparaissant ici encore en diverses occasions mais non crédité au générique. Quant à la qualité d'ensemble du film, on pourra en juger rien qu'en se délectant d'une superbe scène d'auberge "à la King Hu" d'une dizaine de minutes servant de pivot au film en annonce de sa phase de conclusion, un exercice d'ambiance bien particulier jouant autant sur sur la précision de la réalisation que sur le scénario, les chorégraphies et le jeu d'acteurs et pour lequel les deux auteurs/réalisateurs ont manifestement un goût commun (à retrouver également dans le "Jade Faced Assassin" (1970) scénarisé et co-réalisé par Huang Feng juste avant cela, toujours aux cotés de Yen Chun). On pourra aussi relever un très beau travail de réalisation au niveau de l'effet d'ambiance sur une autre scène clef du métrage : la scène de séparation laissant le héro Chang Yi abandonné seul hors de l'école, ses maîtres, amis et camarades s'éloignant de lui à mesure que le cadre s'élargi et se vide de toute présence humaine. A noter aussi dans les morceaux de bravoure du film la longue pause laissant brutalement la scène figée pendant près de 15 secondes en clôture du duel final, l'un des combattants ayant subitement disparu et l'autre demeurant debout immobile les bras écartés au centre de la scène parsemée de corps abattus, seul le clignotement du trône en fond de décors signalant que le temps continue de s'écouler. Un artifice de mise en scène particulièrement osé et efficace (scotchant, pourrait-on même dire) plongeant le spectateur dans une attente aussi intense qu'incrédule avant d'enchaîner sur un épilogue dramatique dont le style évoque fortement celui que le réalisateur proposera 6 années plus tard dans un autre sommet de sa carrière, le remarquable "Shaolin Plot" (1977).
Verdict
Pour sa permière réalisation solo en même temps que dernière participation à la filmographie "Shaw Brothers", Huang Feng aura signé avec ce "Crimson Charm" rien de moins que l'un de ses tous meilleurs films. Histoire, scénario, réalisation, chorégraphies, jeu d'acteurs, décors, musique,... tout y est réuni et au meilleur niveau pour le plaisir d'un très bon wuxia-pian SB TradeMark typique de l'effervescence créatrice de ces années charnières fin 60' - début 70'. L'occasion également de (re-)découvrir l'un des plus honnêtes artisans cinéastes de Hong-Kong, malheureusement souvent mis de coté par l'histoire au profit des quelques étoiles qu'il aura su révéler (à commencer par Sammo Hung, ici encore simple figurant combattant mais dont Huang Feng fera son chorégraphe attitré dès le lancement de la Golden Harvest ou encore Angela Mao).
Au final, ce "Crimson Charm" constitue un film bourré de qualités et moins basique qu'il y parait, aussi riche thématiquement que cinématographiquement. A déguster sans aucune restriction que l'on soit initié ou découvreur du genre.