Le goût de saké(kette)
"Abnormal Family" est une œuvre culte à plus d'un titre. Tout d'abord, elle est réalisée par Suo Masayuki, un autre des très nombreux futurs réalisateurs mondiaelment réputés, qui fait ses premières armes dans le genre du pinku avant de réaliser – une dizaine d'années plus tard – "Shall we dance ?" – énorme succès au box-office local, gagnant de 13 "Oscars japonais" et également plus gros succès (à l'époque) d'un film asiatique au box-office riain avec près de 10 millions de bénéfices. "Shall we dance ?" était même prévu d'être remaké par John Turteltaub avec Tom Hanks dans le rôle principal avant de tomber dans les méandres des tiroirs hollywoodiens pendant des années avant de connaître une médiocre adaptation avec Richard Gere et Jennifer Lopez dans les rôles principaux. Suo Masayuki, qui est un réalisateur totalement sous-estimé, avec des bons gros succès à la clé, comme "Fancy Dance" et "Sumo do, sumo don't" et – plus récemment – "Even so, I didn't do it", mais qui n'a réalisé qu'une poignée de longs de fiction en 25 ans de carrière.
Ensuite, "Abnormal Family" est une œuvre culte pour être une parodie érotique des films d'Ozu…pas un simple plagiat, mais un vrai hommage réfléchi, qui est aujourd'hui étudié dans certaines écoles (!!) et a même eu droit à une citation dans "Viva Erotica" du hongkongais Edmond Pang.
Effectivement, tout y est: depuis la petite citation avant même le début du film, un générique peint sur des toiles, une caméra à ras les touffes sur les tatamis, des plans épurés qui durent souvent plus que de raison, des acteurs au débit de paroles lent et mesuré, les inserts de plans de voisinage anodins, etc, etc…Et même l'histoire pourrait être tiré de l'un des scénarii d'Ozu (avec des larges emprunts à plusieurs de ses œuvres) avec ce père de famille veuf, qui veille au bonheur de ses enfants, chagriné que sa fille aînée ne soit pas encore mariée…sauf que – pinku oblige – toutes ces situations sont évidemment détournées avec un premier fils lubrique, un autre qui s'envoie en l'air sous le toit familial, la grande sœur prostituée et le père de famille, qui fantasme sur la serveuse du bar.
Si le quota des scènes de sexe est scrupuleusement respecté et inclut masturbation, femmes soumises, bondage et même SM sans jamais être trop choquants, ni aller au-delà du simple soft-porn chaste et figuré, l'hommage et les très nombreuses références cinématographiques passent joyeusement le temps entre deux parties de jambes en l'air. Mieux, on zapperait presque volontiers les scènes plus chaudes pour savoir ce que Suo a encore bien pu parodier par la suite. Un Suo en totale roue libre, qui a dû se faire retourner Ozu plus d'une fois dans son cercueil – mais qui le fait avec tact et intelligence, comme le prouve également cette scène absolument géniale vers la fin du film, où une femme et son beau-père se mettent tous deux à réciter avec la seule voix de la jeune femme un discours sur des choses incroyablement communes; un discours dit "philosophique" sur les petites choses de la vie, tel qu'Ozu les adorait, mais qui est également le discours communément tenu par les vieilles générations à l'égard de leurs enfants, où les femmes sont tenues de se soumettre à leurs maris et à ne pas divorcer sous le seul prétexte d'un mariage malheureux. Assez terrible dans son propos, culotté (c'est le cas de le dire) dans un film du genre et brillamment mis en scène.
Bref, un petit pinku très bon à la base et enrichi par l'habile hommage.