Les Insoumis
De Kudo Eiichi on connaissait le testamentaire Un Yakuza contre la meute, yakuza eiga années 90 loin de renouveler le genre et encore moins d'en redorer le blason artistique dans une décennie dominée par le phénomène Kitano. Mais 13 Assassins permet de le placer d'emblée parmi les cinéastes talentueux de la vague sixties de chambaras plus ambigus et moins héroisants que leurs devanciers. Passé une mise en place trop longue et laborieuse à coup de multiplications d'informations et de personnages, le film va s'imposer comme un joli hymne à l'insoumission. Il s'agit ici de complot ourdi pour renverser un souverain régnant en brute sanguinaire et usant à son profit du bushido. Et de se demander comment résister à plus fort et plus puissant que soi. De ce point de vue, 13 Assassins porte la marque d'une décennie où la contestation irriguait le cinéma et le monde politique. On peut alors comprendre que tous les membres du "commando" soient inégalement développés. Car il est moins question de gallerie de personnages que d'observer les réactions du groupe face aux questions du sacrifice, du respect de la voie du samourai, de l'héroisme avec les scissions que cela pourrait impliquer. Scissions qu'on retrouve d'ailleurs par moments dans le camp de l'ordre établi, comme si la condition de samourai et ses affres pouvaient réunir chacun de part et d'autre. Et tout ceci d'aboutir à une scène d'embuscade d'une demi-heure où les combats se succèdent sans baisse de tension malgré de petites pauses dialoguées, scène où la tension provient du cadre, du montage et de quelques fulgurances visuelles. Avant que la fin ne réconcilie in extremis noirceur extreme et respect du véritable esprit de la voie du samourai. Le tout étant porté par une mise en scène faite de cadrages précis, de montage prenant son temps, de travellings assurés, brillante sans trop en faire. Pas totalement convaincant mais donnant envie de découvrir mieux le cinéaste.
Band of Bothers
Avant toute chose, "13 Assassins" est un pur produit de son temps.
Le "jidai geki" était une pleine perte de vitesse après son âge d'or atteint durant les années 1950s. Devant la déferlante de films et les sempiternels scénarii se ressemblant comme deux gouttes d'eau, le public, lassé, se tournait vers d'autres genres. L'innovation, mais en même temps cette mélancolie d'une génération révolue influaient évidemment le ton des nouveaux films produits, plus noirs…
Ton, qui est également à rapprocher de l'époque historique avec un mouvement plus contestataire, qui va naître, monter en force et importance jusqu'à déboucher sur le mouvement mondial de la fin des années 1960s.
Dans le genre, c'est l'année 1962, qui pourrait être cité comme influence majeure de ce "13 Assassins", avec le ton contestataire directement empreint du magnifique "Hara Kiri" ou les efforts d'un groupe d'individus, mouvement collectif représentant celui du Japon en pleine reconstruction, mais également de l'influence majeure des idées d'extrême-gauche, à chercher notamment dans l'influence politique communiste de l'auteur original du scénario, qui auront ouvert la voie et qui rappelle un "Sanjuro" de Kurosawa Akira, par exemple.
"13 Assassins" est loin, très loin des deux chefs-d'œuvre précités…mais il n'en reste pas moins un exemple passionnant de l'époque et faisant indéniablement partie du "haut du panier" des productions à sortir à la chaîne. Une œuvre d'autant plus intéressante lorsque l'on sait que Kudo Eiichi était tout sauf intéressé par tourner dans le genre. Il était bien davantage inspiré par celui du yakuza eiga et ce n'est finalement que sous pression de ses producteurs employeurs de la Toei, qu'il finit par céder, réaliser séries TV et même comédies musicales du jidai geki (!) avant de passer à la réalisation des "13 Assassins".
C'et peut-être aussi pour cela, que l'on sent cette envie de se distancier un peu du genre, de le "mâtiner" à sa sauce…en en accentuant notamment la violence, à al fois directement empreinte des yakuza eiga, mais pouvant également s'interpréter dans le refus de passer beaucoup de temps à "mettre en images" des combats que n'intéressaient pas forcément le réalisateur…Car l'ensemble des jidai geki s'était jusque-là illustré par les fameux affrontements, débouchant indéniablement sur le sacro-saint duel final, réglé comme du papier lettre avec des gestes parfaitement exécutés entre combattants.
Kudo, lui, donne dans de l'action plus sale, des coups portés dans la nécessité de vivre, par des samouraïs pas toujours formés dans l'art de la guerre, ni dans la volonté de se battre à mort. Des coups portés par des hommes transis par la peur de mourir et avec des armes, qui tranchent dans le lard, dans le tas, qui coupent parfois un membre sous la violence des coups portés.
C'est également toute la force que caractérise ce "13 Assassins" (ainsi que les deux autres de la "trilogie" en devenir, "Le grand attentat" et "11 guerriers du devoir"): l'incroyable bataille finale totalement désespérée d'une cinquantaine de minutes après une exposition (comme dans son remake de Miike en 2010, d'ailleurs) un peu trop longuette avec trop de développement de certains personnages et pas assez d'autres, avec du dialogue finalement assez inutile, quand on prend son film dans sa relative simplicité de l'ensemble.
Il n'empêche, l'incroyable maîtrise de la réalisation, les impressionnantes scènes de foule et d'action sont une nouvelle fois la preuve d'un incroyable cinéma, qui se payait des longueurs d'avance sur celui de la plupart des pays du monde, France et USA y compris !!!