Aurélien l'évoquait dans sa récente dépèche au sujet du film "Un père à Pékin", la Chine change et son cinéma est lui-même est en pleine mutation sous la houlette de cette fameuse 6ème génération de réalisateurs.
A ce sujet, je vous invite à consulter un article riche et édifiant de Anne Loussouarn paru dans les "Perspectives Chinoises" (la revue du CEFC, le Centre d'Etudes Français sur la Chine contemporaine) de Juillet-Août 1997 et disponible en ligne ici : "Censure : la danse des ciseaux".
Elle y dresse un état des lieux à l'époque bien peu prometteur des contextes de production cinématographique en Chine sous sa période de contrôle la plus extrème.
Rétrospectivement, on aurait presque envie aujourd'hui de dire "ouf !"...
Lire Yimou était une cible privilègier de la censure à l'époque ça pourrait presque laisser septique... De toute manière la diffusion d'internet représente un bien plus grand "danger" potentiel que quelques scènes de films d'un point de vue politique. Et puis un cinéma qui s'exporte c'est à la fois rentable et surtout très publicitaire pour montrer la modernité d'un pays...
>> Lire Yimou était une cible privilègiée de la censure à l'époque ça pourrait presque laisser septique...
Et pourtant... Lui comme d'autres ont été obligé de plier dans une certaine mesure afin de pouvoir continuer à produire des films. Ce qui me fait d'ailleurs penser que ces histoires de "génération" de réalisateurs chinois tient pour une bonne part aux périodes qui leur ont plus ou moins permis de s'exprimer et non seulement aux réalisateurs en question. Zhang Yimou comme cette fameuse 6ème génération avait aussi des choses à dire et à témoigner, il avait également les capacités de styliste inventif pour proposer un autre cinéma bien avant eux (voir son excellent "Keep Cool !" dont parle l'article). Il n'a simplement pas fait le choix du soit-disant "underground" (très "in the mood" à l'étranger) afin de continuer à produire ce que l'on pourrait qualifier de "grand cinéma", populaire (= grand publique) mais pas trop abrutissant quand-même. Quelque part, on peut estimer qu'il aura autant que possible manipulé la censure en même temps qu'elle le contrôlait lui. C'est la règle du jeu là-bas. En comparaison, d'autres comme Feng Xiaoning ou Feng Xiaogang se sont montrés bien plus obéissants, se contentant de passer au mieux ce qui était autorisé, sans être de purs flatteurs du régime mais apparement sans tenter de forcer les cadres pour autant.
"Zhang Yimou comme cette fameuse 6ème génération avait aussi des choses à dire et à témoigner, il avait également les capacités de styliste inventif pour proposer un autre cinéma bien avant eux (voir son excellent "Keep Cool !" dont parle l'article)"
-> Ces histoires de générations n'ont en tout cas rien à voir avec une façon de filmer ; c'est la façon de filmer qui évolue au cours des générations. Si Yimou a opté pour un certain parti pris formel - que je trouve assez irritant au demeurant - dans son "Keep Cool", c'est probablement parceque le cadre et les personnages de ce film - provoquant une rupture avec ce qu'il avait l'habitude de mettre en scène jusque là -, s'y accordaient tout à fait.
D'une manière générale, les réalisateurs de la 5ème génération (les Chen Kaige, Zhang Yimou, Tian Zhuangzhuang et consorts, donc des types qui ont débutés leurs carrières dans les années 80) ont ouvert la voie à ceux de la 6ème génération, que ce soit en terme de reconnaissance dans des festivals internationaux ou - malheureusement - de "combat" contre un système de censure. Ce n'est donc pas étonnant de trouver aujourd'hui des liens entre les deux générations de cinéastes. Et il va sans dire que le fruit de cet héritage n'a de cesse de me surprendre. D'ailleurs, j'ai toujours mieux vu l'avenir du cinéma d'extrême-orient du côté de Beijing/Taipei (parcequ'à Taïwan, on sait aussi faire des films géniaux, même si ça a l'air de plus en plus dur) que de Seoul :-)
>> Ces histoires de générations n'ont en tout cas rien à voir avec une façon de filmer ; c'est la façon de filmer qui évolue au cours des générations
Certes. Reste qu'une caractéristique courrament mise en avant comme identification (simpliste ?...) de cette fameuse 6ème génération tient à une (ou des) façon(s) de filmer sortant de l'accadémisme des précédents, celle-ci justement en accord avec le traitement plus critique (ou plus osé) des thèmes abordés, ces derniers eux-même autorisés, si ce n'est pas une libération toute relative de la création, par l'existence d'un réseau d'audience potentiel à l'export pour cette tendance qu'on y qualifie d'underground. Bref, tout cela me semble très lié (on film ainsi car c'est le traitement adéquat pour la vision du sujet que l'on s'autorise). Et le facteur principal de ces évolutions (notamment stylistique, donc) me semble justement être le climat de contrôle exercé en interne et fort heureusement aussi son affaiblissement relatif par les fuites que permet l'essort des communications internationales actuelles (et pas uniquement l'internet). Le presque classique et populaire Zhang Yimou et son "Keep Cool" n'avaient pas pu passer au travers des mailles de la censure, les suivants auront eut la chance d'y parvenir (bien qu'en ciblant plus directement l'underground local et l'export). Sachons au moins rendre un hommage reconnaissant à ceux qui auront ouvert cette voie, ainsi que tu le précises. Et là, c'est directement à nous occidentaux que revient une part du pouvoir de soutenir ce cinéma et ses idées (et donc globalement un certaine évolution du pays lui-même) en faisant toutes fois attention à d'éventuelles "fausses fuites" orientées par un régime peu à peu contraint d'afficher une relative bonne volonté là où il se contentait jadis de masquer ses faces qu'il jugeait non communicables.
[bon, je risque d'avoir été un peu confus dans mon explication paskeu je réfléchissais en même temps... ^___^ ]
Sinon, pour le parti-pris formel que tu as trouvé irritant dans "Keep Cool !", j'avoue avoir moi-même subi cela avec peine jusqu'à me rendre compte que ça m'entrainait d'une certaine manière à un état d'esprit approchant celui des personnages du film. Malin ! Et assez osé par son coté inhabituel (si quelqu'un a des exemples antérieurs, je suis prenneur...).
Je n'ai pas grand chose à ajouter, étant donné que tu te réponds à toi-même (les facteurs sont multiples, en effet) :-)
"pour le parti-pris formel que tu as trouvé irritant dans "Keep Cool !", j'avoue avoir moi-même subi cela avec peine jusqu'à me rendre compte que ça m'entrainait d'une certaine manière à un état d'esprit approchant celui des personnages du film"
-> Ha ben moi c'est tout l'inverse :-) J'ai dès le départ trouvé ça assez judicieux de filmer ce taré de Jiang Wen et sa punk attitude à grands coups de jump cuts et de mouvements de caméra tout sauf rigoureux. J'ai aussi apprécié les contre plongées sur les gratte ciels, très symboliques, etc... Mais cet excès de dynamisme a eu raison de mes capacités oculaires au bout d'un moment :-) Néanmoins, je tacherai d'accorder un autre visionnage au film de Yimou.
Sinon, pour en rajouter une couche, je pense que la véritable prise de conscience (ce qui permet en partie d'évoluer), elle s'est faite dans un film comme "Suzhou River", lorsque la voix-off de Jia Hongshen prononce "La caméra ne ment pas", et que par la suite, le film s'attache à montrer beaucoup de choses tenant au domaine du mythe et des songes. Là, on est thématiquement bel et bien sorti de la 5ème génération, qui montrait surtout la place de l'homme dans la nature/l'histoire du pays, ainsi que la figure de la femme déterminée et presque héroïque (mais ça, on le trouvait déjà dans les films des années 30-40), le tout dans un emballage formel plutôt classique. Ce qui est marrant, c'est que le film ne perd absolument pas de vue une certaine identité du cinéma chinois. Je trouve que c'est, au même titre que "Xiao Wu" de Jia Zhang-Ke, l'un des films phares du "nouveau" cinéma chinois.
Et ce sont deux films qui empruntent ouvertement des choses à la nouvelle vague ainsi qu'au cinéma de Wong Kar-Wai (ce qui revient au même ; on pourrait appeler ça une pyramide des influences, d'ailleurs). C'est une autre composante qui rend cette évolution possible : ces films témoignent d'une ouverture à une autre forme de cinéma.
>> Je trouve que "Suzhou River" est, au même titre que "Xiao Wu" de Jia Zhang-Ke, l'un des films phares du "nouveau" cinéma chinois.
Tout à fait d'accord.
>> Là, on est thématiquement bel et bien sorti de la 5ème génération qui montrait surtout la place de l'homme dans la nature/l'histoire du pays
Again.
Mais du coup, je ne peux m'empècher d'y associer également "Keep Cool !" (Zhang Yimou serait-il donc trans-générationnel ?...).
>> Et ce sont deux films qui empruntent ouvertement des choses à la nouvelle vague, [témoignant] d'une ouverture à une autre forme de cinéma.
Re-again. Sans compter une part personnelle de recherche qui enrichie grandement notre horizon cinématographique.
Et puis tiens, je profite de l'occasion pour ajouter un coup de pub au très (trop ?...) expérimentalement barré "Where have all the flowers gone" de Gao Xiaosong (de 1999 mais retenu jusqu'en 2002) qui n'a pas eut l'opportunité d'une diffusion équivalente aux deux autres par chez nous.
Pour ce qui est de Suzhou River, il est clairement représentatif de cette "rupture" entre la cinquième et la sixième génération. Car, s'il est vrai que la manière de filmer n'est pas la principale caractéristique permettant de différencier les nouveaux auteurs chinois, il convient toutefois de noter que les idées mises en avant impliquent justement un traitement formel sortant d'un cadre jusque-là très académique(*).
Suzhou River casse les codes en place. Tourné dans l'illégalité, le film de Lou Ye peut sembler très brouillon mais adopte en fait une forme qui correspond simplement au contexte. Car il s'agit avant tout d'un film qui ne tient pas compte de la censure, une oeuvre rebelle qui s'oppose à ce que le système a imposé trop longtemps aux auteurs. Le terme est d'ailleurs bien mal choisi tant justement les restrictions en place semblent s'opposer à toute créativité. Il en résulte un film vif, qui capture l'instant, la ville en mutation, ses habitants. On pense bien entendu à Fallen Angels(**) pour ce qui est de la ville mais on réalise combien les enjeux sont éloignés entre l'auteur chinois tournant son film sans budget et dans l'illégalité et l'auteur hongkongais libre de faire les films qu'il imagine. Si les deux oeuvres constituent un témoignage sur des quartiers en pleine mutation, il convient de noter combien le film de Lou Ye décrit en réalité la société elle-même, ses habitants, leurs conditions, les bouleversements que vit cette société chinoise. Il s'agit clairement d'une oeuvre moderne qui s'oppose à un système de production à la fois archaïque et entravant la créativité des auteurs et leur liberté d'expression.
Lou Ye, en un film, m'a fait réaliser combien il est urgent de se pencher sur le cinéma chinois. Je dis bien entendu cela à titre personnel dans la mesure où les oeuvres telles que Suzhou River sont certainement celles qui me touchent le plus. La situation actuelle a au moins un point positif : elle permet à quelques auteurs ayant le cran de prendre le contrepied de ce qu'impose le gouvernement de révéler leur talent avec bien peu de moyens et souvent dans l'urgence. C'est bien souvent ainsi que l'on reconnait les auteurs les plus doués.
(*) Il convient de noter que Lou Ye - qui a clamé haut et fort son appartenance à la nouvelle génération - a réalisé par la suite un film historique, genre pourtant très représentatif de la cinquième génération. Si son film est très inspiré sur la forme (mise en scène influencée par Wong Kar-wai, éclatement du récit, ...), l'histoire en elle-même fait preuve d'un certain classicisme.
(**) La comparaison n'est pas innocente tant on peut sentir justement l'influence de Wong Kar-wai sur Lou Ye dans son film suivant. S'il est clair que les motivations des deux auteurs sont très différentes (en raison du contexte principalement), les similitudes sur le plan formel sont plus que troublantes.
Aller, à titre de témoignage supplémentaire, voici ce que répondait Gao Xiaosong, interviewé pour son film "Rainbow" (ou "My Heart Flies" ou encore 我心飞翔) lors du "9e festival cinémas & cultures d’Asie" de Lyon en novembre 2003 :
Q : Que pensez-vous que le festival pourra apporter à votre film ? Pensez-vous qu’il puisse avoir une utilité pour la carrière de votre film ?
=> Bien sûr.
Q : Pour une carrière française, ou…
==> Surtout pour la Chine. Parce que la culture cinématographique appartient à l’Occident. Le cinéma n’est pas l’opéra de Pékin. L’Opéra de Pékin, c’est notre culture. Je ne veux pas lécher les bottes des Occidentaux, mais je veux dire la vérité. La perception des Occidentaux est très importante en Chine.
5 ou 6éme génération, peut importe à mon sens. je préfère largement un THE BLUE KITE à n'importe lequel des JIA zhangke par exemple, j'ai trouvé KEEP COOL excellent, ainsi que BLIND SHAFT, KEKEXILI, A L'OUEST DES RAILS ....... et même HERO!!! un bon film reste un bon film, et la 6ème génération comporte autant de trucs bien que de trucs chiants, quant à la censure, elle n'est plus trop efficace quand on voit ces films en rayon là bas avec écrit (en français) "le film interdit en CHine" ça fait bien rire.
cela n'empeche pas les succes internationaux dans les festivals, certains réalisateurs doivent même en jouer je pense, en fait c'est juste que ça limite la production et l'exploitation en salles chinoises.