Annecy 2008 - Partie 1 : L'Inde, invitée d'honneur

Lien vers la Partie 2 : Asie et plus si affinités


Ben mon cochon (d'Inde) ! Du look violacé du hall Bonlieu - visible en conclusion de ce dossier - à toute une série de courts métrages, en passant par un Cristal d'Annecy du meilleur long pour Sita sings the blues, une conférence dédiée à l'animation indienne et des invités prestigieux, l'Inde avait de quoi "Bombay" fièrement le torse cette année ! Preuve en est un beau Ganesh tout rose en visuel.

Ram Mohan, Père de l'animation indienne

Ram Mohan, dont la carrière s’étend sur cinq décennies, est, comme ce petit titre l'indique, considéré comme le père de l’animation indienne. Il fut membre du jury Longs métrages à Annecy 2008, aux côtés de Matt Groening (Les Simpsons) et du célèbre animateur de marionnettes Barry Purves. Le vieil homme a tout du naïf parfait, avec sa grande oreille décollée et ses yeux scrutant le plafond en quête d'on ne sait quoi. Il a constamment l'air ailleurs, même - et surtout ? - au milieu d'une horde de journalistes et autres joyeux organisateurs afférés à organiser et "nourjalouser" en masse. Immédiatement sympathique est ce Monsieur.

Tout d'abord, faisons un petit retour en arrière, nécessaire pour mieux aborder la suite de ce dossier.

Ram Mohan obtient son diplôme de Sciences à l’université de Madras puis abandonne ses études pour rejoindre, en 1956, la CFI, la « Cartoon Films Unit », qui dépend du gouvernement indien. A l’occasion d’un programme d’aide technique américaine, il reçoit une formation particulière des Studios Walt Disney en la personne de Clair H. Weeks. Je me suis renseigné : Clair est un homme. C'est clair. Entre 1960 et 1967, Mr Mohan crée une grande partie des travaux de la CFI, comme Homo Saps qui remporte le prix du meilleur film expérimental d'Inde en 1967. L’année suivante, Chaos remporte un autre prix au Festival de courts métrages de Leipzig, Allemagne. En 1968 il quitte la CFI pour rejoindre « Prasad Productions » en tant que chef du département animation. En 1972, il fonde sa propre société de production : « Mohan Biographics ».

En 1995, Ram Mohan mène le projet de l’UNICEF Meena. Cette série de 13 épisodes raconte les aventures d’une jeune indienne. « Meena est si populaire qu’il n’y a pas un enfant du Bengladesh qui ne la connaisse pas » affirme t’il.

Actuellement, Ram Mohan occupe les fonctions de président de Graphiti Multimedia ; il est aussi doyen de la Graphiti School of Animation de Bombay.

Concernant l’intérêt d’un cinéma d’animation indien, Ram Mohan tient ces propos : « Une des raisons pour laquelle l’animation est utile en Inde concerne l’animation des personnages. Elle devient générique. Prenez un acteur appartenant à telle ou telle région. S’il est "Keralite", "Bengali" ou "Punjabi" il devient associé à sa région. En animation, le personnage est générique. Il peut être fermier indien ou pêcheur indien, peu importe, l’animation peut couvrir tout le territoire. »

Ramayana – Prince of light

La reconnaissance – tardive - internationale de Ram Mohan est due à l’intérêt porté en 1984 par le japonais Yugo Sako, jusqu’ici réalisateur de documentaires, à la légende indienne de Ramayana. Fasciné par cette histoire et très respectueux du matériau – en 1985 il tourne le reportage The Ramayan Relics - , il approche Ram Mohan pour une co-réalisation sur le film. 450 artistes y participent.

Le Ramayana raconte la naissance et l'éducation du prince Rama qui est le septième avatar du dieu Vishnou, la conquête de Sîtâ et son union avec elle. L'œuvre raconte également l'exil de Rāma, l'enlèvement de Sîtâ, sa délivrance et le retour de Rāma sur le trône.

Entre 1990 et 1994, la collaboration indo-japonaise sur ce long métrage n’est pas des plus aisées. Le caractère sacré de l’histoire nécessite une attention toute particulière à nombre détails susceptibles d’échapper aux japonais. Yugo Sako trouve grâce auprès du gouvernement indien par son approche sensible, intègre et passionnée. Il voyage une soixantaine de fois en Inde et consacre 10 ans de sa vie à ce film pour une durée finale du métrage typiquement indienne : 135 minutes. Un massacre au montage américain s’ensuit, renommé Prince of light le film est un scandale en Inde : le caractère profondément religieux de l’histoire, transformée aux USA en gentille épopée d’une heure plus courte, choque les hindouistes et empêche l'exploitation sur le territoire américain. Le charcutage est du même ordre que celui du fameux Princesse des étoiles, anime dont le titre camoufle alors le Nausicaa de Hayao Miyazaki, film sur lequel Kazuyuki Kobayashi, directeur de l’animation sur Ramayana, fut d'ailleurs animateur clef.

Longue interview exhaustive de Ram Mohan sur Designinindia.net (en anglais)


Sources: Designinindia.net, Annecy.org, Chakra.org, Wikipedia, Belief.net, ANN


CONFERENCE : L’Inde, futur géant de l’animation ?

Imaginons: vous êtes là, à côté de moi, prêt pour trois heures de blabla sur ce thème. Faisons tournoyer le stylo, mettons nos doigts dans nos nez et z'y va pour l'exercice du jour. Pas de bol, comme la conférence est donnée par des professionnels tous plus ou moins concurrents dans ce domaine, la question n’est pas vraiment traitée : le pays est utilisé par l’occident comme un sous-traitant, de la même façon que l’est (ou le fut ?) la Corée du Nord. Cependant, sur trois heures on a là de sacrées bases de réflexion et des éléments de réponses qui, si elles ne sont pas ouvertement accessibles, devraient pouvoir être aisément imaginées, voire anticipées.

Jean Gaillard, Responsable du département des nouveaux services chez Mikros Image, société de post-production spécialisée dans les effets spéciaux, « anime » la session et présente l’Inde comme un acteur majeur à venir en matière d’animation, déjà très puissant dans le secteur du VFX - aka les visual effects - et du jeux vidéo.

La parole est donnée en premier lieu à la jolie Saraswathi Balgam, directrice de Rythm & Hues Inde, société spécialisée en VFX. Aussi Présidente de l’Asifa Inde – association reconnue par l’UNESCO – et de Women in Animation, deux organisations à but non lucratif dédiées à la promotion de l’art de l’animation en Inde, à elle de s’atteler à une présentation de la situation générale du pays en matière d’animation.

En 2005, le long métrage animé Hanuman (un Hanumanimé donc) fut un gros succès en Inde et annonça la vague qui s'apprête à nous submerger. Mme Balgam donne une série de chiffres explicites : 85 films et séries animé(e)s sont en développement à ce jour pour le marché indien. Un gros film se profile : Roadside Romeo, une co-production Yash Raj Films et Walt Disney Pictures et plus gros budget sur un DA (photo et promo sur Youtube). La compagnie américaine a de quoi être intéressée par le marché indien : 14 millions de personnes y vont au cinéma chaque jour. Pour information, le pays comporte environ 1.100.000.000 d’habitants (chiffre pioché sur Populationdata.net). Il y a 200 studios d’animations en Inde, la plupart se situent à Bombay et Madras, 50 studios de VFX, 100 studios consacrés aux jeux, 15.000 employés, 200.000 étudiants en animation et 1000 écoles d’animation pour seulement 5 universités dédiées. Une question est posée, une réponse donnée : un partenariat évoqué entre une école indienne et une française : Supinfocom. Un peu plus tard lors de la conférence, Mme Balgam aborde sa société Rythm & Hues Inde et les travaux réalisés : les VFX de Narnia – 2 ans et demi passés rien que sur l'animation du lion -, ceux des Hulk 2, La momie 3, Daredevil et Elektra, ainsi que La Boussole d’or, film sur lequel la R&H a obtenu l’Oscar des meilleurs effets visuels. Cette dernière déclaration est étayée d’images vidéos d’une liesse générale dans les studios indiens.

Après Mme Balgam, c’est au tour de Tapaas Chakravarti de s’exprimer et de mettre en valeur sa compagnie : DQ Entertainment, experte en différentes techniques d’animation (3D, 2D…) et prestataire de compagnies occidentales, en particulier la française Method films, dirigée par Aton Soumache, juste à la droite de Mr Chakravarti et prochain à prendre la parole. DQ a pour formidable phrase d’accroche : « The tranquil power is on the move », « le pouvoir tranquille est en déplacement ». A ces mots on image aisément un éléphant grimper doucement mais sûrement la colline hiérarchique des grands de l’animation mondiale. Quoi qu’un Mickey Mouse a toutes les chances de l’emporter : il est de notoriété publique que les éléphants craignent les souris pour leur détestable capacité à entrer dans leur trompe. Comme Ganesh ne souhaite pas mourir bêtement étouffé, Disney a encore de beaux jours devant lui.

Voici les séries phares du binôme Method Films / DQ Entertainment : Iron Man (Marvel est aussi derrière) et Skyland, une série construite à base de « 2D et demi », de 3D et de Motion Capture. Si j’ai bien tout suivi – arrêtez moi si je me trompe – la 2D et demi c’est de la 2D de type Flash qui tend à rejoindre la 3D via une technique bien particulière, à l’inverse d’une 3D rejoignant tant bien que mal la 2D via la Cell Shading (ici une explication assez claire de la 2D et demi). Autres choses intéressantes: DQ dispose d’une sorte d’école interne de formation sur 6-7 mois, qu’Aton Soumache traduit par un « apprentissage sur le tas », et la France continue de vouloir se rendre crédible dans des interventions de ce type en utilisant le verbe « pérenniser » à toutes les sauces. C’est amusant ces constantes dans l’expression pro et rassurante.

Terminons avec un autre binôme de collaborateurs : Joe Aguilar, producteur chez Dreamworks, et Nandish Domlur, fondateur de la société indienne Paprikaas, axée 3D. L’intervention américaine n’est pas des plus intéressantes, elle se borne à débiter auto-congratulations, vidéos du même acabit et une conclusion amenée par un sourire Colgate de Mr Aguilar et cette phrase inattaquable : « Well, that’s Dreamworks ! ». Mr Domlur apporte quelques nuances mais reste dans cet esprit commercial de l’instant : la conférence est pour eux du temps de publicité, une excroissance du MIFA, le marché du film d’animation, et il s’agit de vendre, quoi qu’il en soit, ce qui est valable pour chacun des intervenants ici présents.


Long métrage en compétition et grand vainqueur du Cristal d'Annecy : Sita sings the blues (2008, Nina Paley, USA)


  … ou quand le sitar singe le blues.

Sita est une déesse séparée de son aimé, le grand seigneur Rama. Nina est une animatrice dont le mari est parti en Inde. Par mail, il lui demande de venir le rejoindre...

A la suite d’une déception amoureuse, la réalisatrice Nina Paley (à gauche sur la photo du bas. Nan, pas celle en noir et blanc, l'autre, plus bas) s'est plongée corps et âme dans la réalisation de ce long : un métrage en grande partie autobiographique dans lequel sa triste réalité se mélange à la romance tourmentée de la légende indienne de « Ramayana », mélodrame ancestral entre la belle princesse Sita et le prince Rama, avatar du Dieu Vishnou. Oui, il s'agit bien de cette même légende à laquelle Ram Mohan s'attaqua il y a un peu plus de 10 ans de cela.

3 ans de plein travail, 200.000 US$ seulement de budget et « 8 millions de dollars de mon temps » plus tard débarque Sita sings the blues, un dessin animé chatoyant dû à 90% à sa créatrice Nina Paley. Viennent s’y greffer le groupe occidental au doux nom de plat indien Masala Dosa, rencontré sur le net par l’animatrice grâce à quelques extraits qu’elle mit en ligne sur son site, et la chanteuse naphtalinée Annette Hanshaw ( ci-dessous sur la photo en noir et blanc), qui nous chante les déboires davantage jazzy que blues d’une femme un peu trop tentée de boire, justement. Pas chère l’Annette : sa discographie est tombée dans le domaine public et Nina a pu y piocher allègrement ses morceaux préférés, sans savoir, dit-elle, que la musique était disponible gratos. Mais peu importe, l'idée est bonne et le ton désuet de ces chansons, régulièrement clôturées par un " that's all ! " devenu marque de fabrique de la chanteuse, participe grandement à ce ton faussement léger masquant tant bien que mal une rupture douloureuse.

L'animation du film est éparse, va du découpage papier à la 2D en passant par la rotoscopie. Avec en plus une musique variée, ne craint-on pas l’indigestion à la longue ? Presque pas mon Capitaine, l’entreprise est des plus risquées, certes, mais le dosage est bon, l’intelligence et la sincérité convoquées et l’émotion au rendez-vous. Le Jury d'Annecy ne s’y est d’ailleurs pas trompé : Sita a été élu meilleur long métrage de l'année.

Le film joue sur la comparaison temporelle, la similitude de deux trames sur deux époques différentes. En soit, c'est un genre à part entière, un film comme le Dead again de K. Brannagh pratiquait le même exercice, les plus récents The Fountain de D. Aronofky et Perhaps Love de Peter Chan également. Le personnage de Nina Paley est représenté en animation de dessins 2D classiques, de nos jours, aux USA puis brièvement en Inde, et vit en parallèle aux aventures de Sita se passant il y a trèèèès longtemps de cela. Et en papier découpé. L'ensemble est étrange car la légende indienne a servi d'évasion à la réalisatrice tout comme elle évoque sa propre histoire. Les deux se recoupent et l'évasion n'a pour seule extrémité qu'un retour à la réalité.  C'est troublant et joliment fait.

L’hilarante présentation de la légende indienne nous est faite par un trio d’indiens tentant d'expliquer à un occidental – et de s’expliquer entre eux – cette histoire compliquée, religieuse, aux ramifications nombreuses. Fait cocasse : ce ne sont pas des acteurs qui débitent leurs dialogues mais bel et bien de simples indiens à qui Nina Paley a demandé des explications sur cette légende. Elle les a enregistrés puis a animé leurs dires. Le résultat est une source d'humour jubilatoire.

Jubilatoires, les passages de comédie musicale lors desquels s’exprime Annette Hanshaw ne le sont que dans la seconde partie du film, après un entracte original mais au traitement foireux - à savoir pas drôle - , une fois la séparation entre la réalisatrice et son mari effectuée. Auparavant, la déchéance du couple ne justifie pas vraiment ces passages-ci et le temps se fait long et lourd à la fin de la première moitié. On y soupire d'ennui. La symbiose Nina/Sita intervient seulement dans la seconde partie pour devenir de plus en plus forte au fur et à mesure que le petit drame s’intensifie, jusqu’à en devenir une menace de suicide évidente. Les couleurs défilent soudain beaucoup plus vite, les instruments de Masala Dosa s’emballent, la rotoscopie rend compte avec fluidité des pas allant crescendo d’une danseuse et le climax fait soupirer son spectateur, dans le bon sens cette fois. « C’est une histoire simple en fin de compte, vous savez » avoue la réalisatrice. Simple, oui, mais universelle.

Le film est attendu de pied ferme – et d’œil sévère - par les indiens, en particulier les hindouistes. Leur religion a servi là un dessin animé occidental et, bien évidemment et pour ne pas changer, ils craignent le blasphème. Sachant le sort qui fut déjà réservé au Ramayana indo-japonais sur lequel Ram Mohan a collaboré, on est en droit d’être un minimum inquiet quant à l’exploitation de l’œuvre. Bonne nouvelle : cette fois les religieux veulent voir l'oeuvre avant même de la brûler. Il y a un progrès certain des mentalités dites voir ! Les indiens présents au Festival ne se disent pas choqués, Ram Mohan ne l’a pas été, aussi ont-ils proposé à Nina Paley de venir le montrer en Inde lors d’une séance spéciale. A suivre...

Long métrage hors compétition : The return of Hanuman (2007, Anurag KASHYAP, Inde)


Le Dieu Hanuman revient dans l'Inde d'aujourd'hui sous la forme d'un avatar, un garnement nommé Maruti. Celui-ci déclenche involontairement une série d'événements qui entraînent la réalisation d'une mauvaise prophétie. Désormais, le destin de l'humanité repose sur les épaules du jeune Maruti.

Hanuman en bateau oui !

Ne nous y trompons pas, sous couvert de n'être qu'un divertissement inoffensif pour enfants, ce "The return of Hanuman" est une bondieuserie hindouiste blindée de tous les travers habituels du genre. Hanuman est un Dieu et on ne badine pas avec la religion siouplé. C'est lui le plus fort, faut pas le chercher, il ne doit absolument pas être une source d'humour etc. En découle une morale complètement régressive et basique sur tout ce qui a trait à l'accomplissement de soi, le mérite et autres concepts allant à l'encontre de toute forme de ce manichéisme énauurme idolâtré là-bas. Pour ce que j'en ai vu du ciné de Bollywood - mais je ne suis certainement pas expert dans le domaine - c'est une constante, celle d'un positivisme affiché, d'un engouement sans doute discutable mais validé avec pour seule raison d'être : " choisis le camp du plus fort camarade, c'est juste un conseil. " L'animation et la réalisation sont (très) bof mais les chansons sympas, les couleurs abondantes, Hanuman trop balèze et pour bouffer l'preums à la cantoche mieux vaut être de son côté. Ok ça roule, je ne discute pas, suis d'accord, pas de problème. Le film, euh, il est trop tip-top cool les mecs. Moi chuis pote avec Hanuman hein...

Pour la blague : un Hanuman datant de 2005 existe mais n'a, parait-il, aucun rapport avec ce "Return of Hanuman". Sauf que le Hanuman cuvée 2005 a cartonné au box office local. Ca fait bizarre de dire "local" pour un pays gigantesque comme l'Inde, on n'est pas juste à HK là eh... Bref, les marchands du temple sont partout. Pour la blague 2, le retour : le personnage de Hanuman fait aussi partie intégrante de la légende de Ramayana, celle mise en avant dans "Sita Sings the blues". Le monde et les panthéons sont petits, Hanuman est inclus dans le forfait "Inde" donc fut également invité d'honneur à Annecy. Même que ouais : il était dans la valise à Ram Mohan alors...


Les couleurs de l'Inde

Sous cette appellation, le festival a regroupé 4 programmes de courts indiens : standards, d'étudiants, publicitaires et du "Saris & Patchoulis" ancré dans le folklore.

Détaillons les courts métrages "standards". On commence avec Maa-aaa de Santosh D. Kale (2006), très axé Walt Disney dans son animation 2D et son histoire typée conte pour enfant, à base de biquette convoitée par hordes brigands affamés dans la jungle.  Si la qualité est au rendez-vous pour l'animation, la narration, elle, est franchement foireuse, hachée, et les rebondissements sur 18 minutes de temps sont assez simplistes. Les tous petits y trouveront sans doute leur compte. Le suivant, Happy Planet de Dhimant Vyas (2007), fait partie de ces courts "marabout-bout de ficelle" sans histoire dans lesquels les dessins se transforment en choses et d'autres. Juste visuel et ludique pour du court-court adapté d'un peu plus de 3 minutes seulement. La baffe de ce programme, la voici-là voilà : Printed Rainbow de Gitanjali Rao (2006, photo à droite), la belle histoire d'une mamie qui s'évade de son quotidien à travers des petites boîtes colorées. La routine de son appartement est imagée en un noir et blanc terne et dépressif, à l'inverse de ses rêves, d'une beauté somptueuse et superbement colorés. Un terme qui revient souvent lorsque je parle d'animes indiens : "colorés", une bonne récurrence sans doute liée au folklore mais évidente quant à l'attirance de tout un chacun pour cette spécificité. Cette claque visuelle de 15 minutes, remarquée à la semaine de la critique à Cannes en 2006 où elle obtint plusieurs prix, joue sur plusieurs tableaux (émotion, originalité du dessin...) et paye sa chouette 2D tout du long (du court).

Killing the Fittest
de Sanotsh D. Kale (2006) est le seul exemplaire en 3D du pool, intéressant techniquement mais anecdotique avec ses cafards en vadrouille sur un peu plus de 3 minutes. Le suivant, Raju & I de Gayatri Rao (2003), est le plus long de la sélection avec ses 30 minutes bien tassées de 2D classique. A l'inverse de Maa-aaa (nina-aa-aaaaa... Merci Dave), l'animation et les dessins sont plutôt laborieux mais la narration dans son ensemble (découpage, jeux d'ombres...) raconte très bien cette histoire pondue dans le cadre d'une ONG, Aseema, qui se bat pour les droits de l'enfance en Inde. C'est évidemment un minimum démonstratif mais très réussi : "Raju & I" commence avec les deux amis Raju et le narrateur, qui vont se séparer après une bifurcation rapide de l'un due à un "standart of living" très différent de l'autre. Le narrateur est un privilégié qui continuera à aller à l'école tandis que Raju finira très vite par en être rendu à fouiller les poubelles pour survivre.  Sous la forme d'une sorte de conte à la Charles Dickens, ce court fait passer son message comme une lettre à la poste pour sensibiliser le chaland. 

Terminons cette partie avec Horn ok please, un court anglais de Joel Simon (2005, photo). Le titre se sert d'une phrase typically "hinglish" marquée sur une majeure partie des véhicules qui circulent en Inde.  Littéralement "klaxon ok s'il vous plaît", il s'agit d'un conseil d'utilisation massive de l'objet pour marquer sa présence sur les routes. Surtout si l'on s'apprête à doubler. Le court est en pâte à modeler et suit les mésaventures d'un chauffeur de taxi en Inde. C'est poilant, bien rythmé et surtout très bien documenté : le passage avec les transsexuels agressifs est assez bien vu.

Il y avait également une vingtaine de films d'étudiants proposés, tous plus ou moins intéressants. Retenons-en deux : d'abord Pudcha Warshi Lavkar Ya de Prashant Kadkol (2003), un petit conte de 9 minutes à l'ambiance assez puissante, dans lequel un certain nombre d'éléphants Ganesh batifolent au fond de l'eau, très en forme d'une festive 2D. On rigole on s'amuse, jusqu'à ce que le vrai Ganesh débarque à la fin et fasse fondre tous ses clônes. Moralité : faut pas déconner non plus avec Ganesh. Attardons-nous aussi sur One fine friday de - entre autres - Dhaneesh Jameson (2007), un court en pâte à modeler de 2mn30s, rafraîchissant parce que de genre, dans lequel une femme, en pétard parce qu'elle vient de se faire piquer un bout de poisson par son chat, lui jette son couteau et le décapite net. Le félin se relève malgré tout et devient alors un chat zombi revanchard... C'est amusant, gore et change du tout venant.

Retenons des films publicitaires deux produits vantés en masse : huile de moteur pour motos et préservatifs ; et du programme globalement assez décevant " Saris & Patchoulis " le superbe Alpana de Prasun Basu, un clip musical visuellement scotchant.

Animes et projets d'animes indiens en cours


Dans le cadre du MIFA, le marché du film, le stand indien révélait ses produits : de la série 3D pourrave pas chère comme tout le monde, certes, mais aussi de la 2D sur laquelle ont pouvait se pencher. La religion - et histoire? - ancestrale indienne inonde les chtios indiens avec plusieurs déclinaisons des aventures de Krishna en séries : Krishna - The birth ; Krishna - Makhan Chor ; Krishna in Vrindavan et Krishna - Kansa Vadhi, mais aussi celles de Bheem, un personnage issu du Mahabharatha, dans Chhota Bheem (Studios Green Gold). Mon coup de coeur dans ce joyeux bazar fut pour la série The legend of Ponnivala, une collaboration indo-canadienne jouant sur une animation en 2D pour obtenir un rendu en simili découpage papier. C'est du folklorique pur jus, magnifiquement "coloré" (once again) et bercé d'une musique typique.

Ailleurs, dans un special focus India du magasine Pickle disponible dans la salle presse, par exemple, ou tout simplement sur le net, on découvre, halluciné, le gros 3D Sultan the warrior mettant "en scène" la super star ancien chauffeur de bus Rajinikanth, film paraît-il réalisé par sa fille Soundarya Rajinikant. Elle affirme ceci : " Ca n'est pas un Ramayana ou un Mahabharata, un Hanuman ni un Ganesha, c'est un Rajinikanth animé et ça n'est pas une histoire que l'on a déjà raconté ". Voilà pour les bonnes intentions. Cette bande-annonce visible sur Youtube laisse quoi qu'il en soit plutôt songeur. Voire dubitatif. La boîte montante Reliance Big Entertainment sortira son Hey Krishna à la fin de l'année sur le territoire indien (photo). Un long extrait a été projeté lors du festival et le film promet d'être un bon divertissement 3D pour les enfants. Ashish Kulkarni, responsable de Big Animation Studio, la section animation de Reliance, affirme qu'il leur a fallu pas moins d'un an  pour définir le design du petit Krishna, charmant il est vrai. Autres films à venir : Roadside Romeo, déjà évoqué lors de la conférence, un film sur Alibaba en 3D, la série Bommi & Friends ; tandis que Kahani World annonce 7 films lancés en production sur les 24 prochains mois : The secret of seven sounds, Raju the Autorickshaw, Coderman, Chipkali World, Game access, IPrin et Ashati The Asian Princess. A prévoir également un Elephant God consacré à... Ganesh. Les Dieux sont partout.


L'animation indienne, qu'en penser ?


Qu’il s’agisse de VFX ou de 3D faits en masse, l’Inde reste pour l’heure un prestataire des gros d’un Occident bien décidé à garder la main mise sur cette manne étrangère, nettement en retrait sur le plan international. Est-ce que l’Inde saura dépasser son statut de formidable serviteur grâce, à moyen ou long terme, à son gros n’éléphant de Ganesh à la force tranquille pépère ? Cernons la tendance.

Chacun en pense ce qu'il veut pour autant qu'il ait envie d'y penser, néanmoins - et oeil en plus - on peut dire de l'animation indienne qu'elle est véritablement en plein essor, grâce, en partie, à l'impulsion d'une présence étrangère intéressée par le marché ou sensibilisée par les aspects tiers-mondistes du pays. L'Inde a petit à petit développé son animation, et si elle reste fortement liée à cet étranger qui offre d'une main pour piocher de l'autre via divers partenariats sur lesquels le pays reste en retrait, cf. pour exemple la conférence et un Oscar des effets spéciaux sur La boussole d'or apparemment imputable à la branche indienne de la société Rythm & Hues, le pays est sur le point d'inonder son territoire de films et séries susceptibles, qui plus est, de s'exporter grâce à ce regard actuel de l'occident braqué sur cette partie-là du globe. A priori, ces films vont ressembler au cinéma de Bollywood avec son star system qui étouffe encore largement les talents désespérement cachés derrière des icônes vampiriques. Le Sultan the warrior évoqué ci-dessus et, en règle générale, les crédits introuvables de nombreuses oeuvres sont symptomatiques de la chose. Je me rappellerai toujours de ce clip du film live Chak de ! où l'on voit chanter l'acteur Shahrukh Kahn par dessus la belle voix d'un chanteur (Sukhvinder Singh et/ou Salim Merchant d'après la pochette du CD). On va me dire que c'est dans les us et coutumes du Bollywood, que dans les passages musicaux des films c'est idem, sans doute, reste que ça n'est pas une raison valable pour autant.

Les animés indiens - et là je parle de ceux montrés à Annecy - sont pour la plupart des illustrations très respectueuses de la religion indienne, du folklore "coloré" ou encore des visions extérieures, depuis l'occident, sur ce pays là. La quantité d'animes à venir depuis la grande Mother India s'annonce dantesque, en effet, mais pour l'instant aucun auteur majeur ou oeuvre particulière ne suscite l'impatience ni même la curiosité de la part d'un aficionado d'animation. Si une réalisatrice comme Gitanjali Rao (Printed Rainbow) est à suivre du coin de l'oeil et que les extraits vus du long Hey Krishna m'ont formellement agréablement surpris, pour la première il lui reste à trouver un projet qui tienne la distance - si le court métrage est une option à ne pas dénigrer, seul le long fait office de pierre angulaire - et pour le second les remarques que j'ai faites sur le fond d'un Return of Hanuman s'appliquent également. Ne mettons pas la charrue avant les boeufs : une étape est franchie, il y a une animation indienne puissante, les chiffres donnés lors de la conférence parlent d'eux-mêmes et ce qu'un fana d'animation attend de l'Inde il l'obtiendra - peut être - une fois ces bases solidifiées. Compte tenu de la vitesse à laquelle ils procèdent, gageons que cela ne saurait tarder, mais attention toutefois au frein usuel du progrès qu'est la religion ou toute autre forme de main mise abusive sur ce média. Ce à quoi on me répondra que la foi, comme la censure, sont des moteurs de création tout ce qu'il y a de plus efficaces. On refait un point dans 5-10 ans ?


Site du Festival
date
  • juin 2008
crédits
Festivals