Interview Johnnie To

Pourquoi avez vous produit les films de Milkyway avec différentes sociétés de production comme Media Asia, Universe, Chinastar, etc... ?

Milkyway Image est une société de production dans laquelle il est possible pour n'importe quel investisseur à Hong Kong de miser. Cela a toujours été ainsi dans les 10 dernières années. Mais à partir de cette année, nous allons travailler plus avec Media Asia par exemple.

Cela fait quelques années que vous n'avez plus co-dirigé un film avec Wai Ka-Fai, pourquoi?

La dernière fois que nous avons travaillé ensemble c'était en 2003, cela fait donc plus de quatre ans. Le premier film sur lequel Mr Wai et moi même avons travaillé ensemble s'appelait Too many ways to be n° 1, c'était le tout premier film produit par Milkyway. 10 ans après, c'est à dire en 2006, le film marquant la deuxième décennie de Milkyway a été également un travail en commun entre Wai Ka-Fai et moi, le destin nous relie, bizarrement.

Pour cette coopération, nous avions tous les deux envie de faire quelque chose de différent des films précédents, et être innovants dans nos pensées; nous avons aussi pensé à nos futurs films, n'est-ce pas plus intéressant d'être différent dans la forme, par exemple, faire des films en mandarin, ou encore en anglais. Nous espérons que dans la prochaine décennie chez Milkyway, nous pourrons former plus de nouveaux réalisateurs, pour qu'il n'y ait pas que moi et Wai Ka-Fai, encore et toujours.

A la fin d'Election 2, il y a une incertitude sur le futur du fils de Louis Koo, est-ce voulu afin de laisser la porte ouverte à un Election 3 dans 10 ou 15 ans?

Oui c'est une possibilité. Mais ce n'est qu'une possibilité. L'important est de savoir que lorsque j'ai eu ce choix, je voulais surtout finir le film par un point d'interrogation, sur le futur des triades de Hong Kong. Moi-même, je n'ai aucune idée de ce qui se passera, mais au moins l'on sait que maintenant, les triades sont maîtrisées par le gouvernement chinois, ce ne sont plus les triades telles qu'on les connaissait avant.

Il y a toujours beaucoup d'humour et de l'absurdité dans vos films, réaliser c'est avant tout vous divertir et vous amuser vous-même?

Johnnie To - Promo Mad Detective 2 Il faut bien sûr savoir s'amuser avant tout en faisant un film, sinon, cela deviendrait seulement une formalité. Il est vrai qu'il y a souvent de l'humour noir dans mes films, par le biais Lam Suet par exemple, qui interprète bien souvent des rôles de maladroit. Je trouve qu'un film reflète la vie, car un être humain ne peut pas être complètement bon ou méchant, il ne peut être parfait. Ce qui est touchant chez un être humain, c'est qu'il est innocent, naïf, c'est cela la merveille de la nature humaine. Si un jour on ne trouvait plus ces éléments dans mes films, alors cela serait vraiment triste.

Quelques uns de vos films sont réalisés sur un planning très très serré, comme The Mission. Mais dernièrement, vous avez plutôt tendance à étaler les tournages sur plusieurs années comme PTU. Est-ce plus confortable?

J'écris le scénario en même temps que je tourne. Pour The Mission, les idées venaient plus vite, plus spontanément, en effet, le film a été plié en un mois dont 19 jours de tournage. Je ne saurais expliquer pourquoi une telle vitesse. Quant à PTU, après une scène, le tournage s'est arrêté, le cerveau ne voulait plus fonctionner; six mois se sont écoulés au moment de la reprise, on tournait, et on s'arrêtait, encore... J'insiste juste sur le fait que je ne finis pas d'écrire le scénario avant de commencer le tournage du film.   

Pour Mad Detective, il n'y a pas de scénario au départ?

Non (rires). Wai Ka-Fai est comme moi, on est pareils - on réfléchit (sur le scénario) en tournant. (rires)

Je voudrais revenir sur The Linger. C'est votre retour à la comédie romantique, genre qui vous permettait auparavant de financer des projets plus personnels. Mais on peut penser qu'aujourd'hui ce n'est plus forcément nécessaire, vos six derniers films étant tous en compétition dans de grands festivals. Quelles étaient vos motivations sur ce projet?

Je répète, j'écris en même temps que je tourne un film, et la plupart du temps, cela nécessite une interactivité avec les acteurs, parfois je change de scénario en les observant, avec les acteurs nous créons ensemble. Cette méthode m'a accompagné pendant des années et des années, plus de dix ans je dirais. C'est pour cela qu'il y a une complicité entre moi et les acteurs avec qui je travaille souvent, car ils savent comment je fonctionne, ils savent qu'il faut parfois attendre, et qu'un beau jour, j'interrompts le tournage pour six mois, ils sont bien préparés à cela (rires).

Johnnie To - Promo Mad Detective 3 Cette fois, j'ai un scénario écrit, Linger, qui est totalement différent de ce que je fais d'habitude. Je n'ai jamais fait de comédie romantique dans les 10 dernières années. A vrai dire, j'avais très envie de me lancer un défi: devant un scénario bien fini, comment vais-je m'y prendre? Et ce que j'ai découvert en moi, c'est que je ne suis pas du tout à l'aise avec les scripts déjà écrits!

Quant aux festivals, je voudrais à l'avenir faire des films à HK essentiellement, que le film soit en anglais ou en une autre langue. Parce que l'industrie cinématographique hong kongaise a besoin d'être reboostée par de nouveaux éléments.

Avant, vous avez tourné, dans les années 80, vous avez travaillé avec Tsui Hark sur Big Heat. Et il y a eu beaucoup de changements de réalisateurs sur le tournage, ça ne s'est pas très bien passé. Récemment, vous avez retravaillé avec lui sur Triangle. Comment s'est passé votre collaboration?

Tsui Hark est un réalisateur que je respecte beaucoup, il a été une figure moteur du cinéma hong kongais, je l'admire beaucoup. L'échec de notre collaboration de l'époque était dû à diverses raisons, la principale je dirais est la discorde des mentalités/pensées. Tsui Hark était capable de raconter l'histoire d'une manière différente chaque jour, ce qui faisait que j'avais beaucoup de mal à digérer ses différentes versions de l'histoire. Nous n'arrivions pas à être sur la même longueur d'ondes pour le tournage, je n'arrivais pas à m'y faire. A la fin, je n'avais pas d'autre choix que d'abandonner le film. Mais cela ne m'a pas empêché d'apprendre auprès de lui.

Nous trois, Tsui Hark, Ringo Lam et moi-même, notre amitié n'est pas basée sur un film, elle a débuté à la TVB à l'époque où nous étions tous les trois directeurs de séries télé. Nous avons la même passion pour le cinéma. L'échec d'une collaboration ne signifie pas la fin d'une amitié, ou que je ne le respecte pas. Nos positions dans le cinéma hongkongais aujourd'hui n'ont pas d'importance, tout le monde sait que Tsui Hark est un précurseur/pionnier du cinéma HK, il est également respecté par beaucoup de jeunes réalisateurs du moment.

Concernant le récent scandale survenu à Hong Kong, j'aimerais savoir s'il a un avis à faire partager, et surtout cette histoire serait-elle une base intéressante pour un de ses futurs films?

Il y a certain de quoi en faire un film, mais ce ne sera pas un film réalisé par moi-même!

Breaking news parle un peu de la même chose non?

Ce scandale est loin d'être une "breaking news", il ne mérite pas d'être pris au sérieux (rires).

Mon avis sur l'affaire Edison Chen: je pense que le plus grave n'est pas les photos nues, on doit admettre que les temps changent, tout simplement. C'est juste une affaire qui s'est répandue sur internet. Internet n'est pas très vieux, mais son influence est absolument énorme. Notre savoir en provenance des livres et des médias est extrêmement limité par rapport à l'internet. On devrait apprendre à mesurer ses côtés positifs et négatifs. Je pense que c'est cela qui doit être notre centre d'attention. Edison Chen et les femmes prises en photo n'ont pas eu de chance, ils se sont sacrifiés en quelque sorte, pour nous mettre tous en garde.

Vous travaillez toujours avec les mêmes acteurs. Pensez vous déjà aux acteurs quand une idée de film émerge, comme par exemple Lau Ching Wan pour Mad Detective?

Oui, plus ou moins. Mais on ne va pas se fixer un cadre à cause de tel ou tel acteur, on pense plus au personnage. Comme je le disais toute à l'heure, les acteurs avec qui nous travaillons sont tous des acteurs mûrs, qui n'ont pas moins de 30 ans, certains vont même atteindre les 50 ans; et moi-même j'ai tendance à faire des films d'hommes matures. Personnellement, je pense qu'en tant qu'acteur, il doit jouer le personnage, et non pas lui-même. Donc, en écrivant le scénario, je ne me demande pas si Lau Ching Wan est Lau Ching Wan, ou s'il est ce détective.

Où en est le projet avec Alain Delon?

En grandissant, Alain Delon a toujours été mon acteur préféré, c'est mon idole, je l'aime beaucoup. J'ai eu la chance de me retrouver avec lui autour d'un repas, j'étais très heureux, et nous parlions effectivement de faire un projet ensemble. Mais il faut que le scénario nous plaise à tous les deux, j'espère que le scénario va bientôt voir le jour mais cela dépend de l'opportunité et de mon planning de travail.

Vous avez dit avant que Loving You était votre premier film personnel. Pourtant dans All About Ah Long, on voyait déjà beaucoup d'éléments de votre style?
 
Personnellement, je pense que tous les films que j'ai fait avant Loving You étaient un peu pour le box office, pour un patron en gros, je les faisais en tant qu'employé. A la fin du tournage du film précédent, je me suis posé la question : quel sera mon futur? Quel rôle vais-je jouer dans l'industrie cinématographique? En 1995, je n'ai fait aucun film, jusqu'en 1996, où j'ai tourné Loving You. A partir de ce film-là, j'ai décidé que le cinéma devait être personnel. C'est l'essentiel. Ce ne sont pas les autres qui décident pour moi, je dois être mon propre maître.

Dans la plupart de vos films, Lam Suet en prend plein la figure, je voudrais savoir si c'est parce que vous lui devez de l'argent, ou parce qu'il vous a piqué une de vos copines quand vous étiez jeunes?

Lam Suet, dans mes films, est l'homme à tout faire, il peut jouer beaucoup de rôles différents. Il reflète en fait mon côté petit garçon et malicieux, et aussi mon point de vue vis-à-vis la vie. Lorsque j'ai envie d'ajouter un peu de moi-même dans le film, Lam Suet est le parfait candidat.

Que signifie la rétrospective de la Cinémathèque française pour vous?

J'ai été très heureux d'apprendre qu'il aurait une rétrospective en mon honneur en France, à Paris en plus, qui est une ville riche en culture. Elle marque une nouvelle étape dans ma carrière cinématographique, un début de la prochaine décennie.




Interview enregistré le 4 mars 2008 avec des journalistes de Evene, FilmsActu, Ecran Large et HK Cinemagic. Tous nos remerciements à Elodie Dufour et Johnnie To.
date
  • mars 2008
crédits
Interviews