Quels souvenirs gardez-vous de vos débuts de scénariste?
C'était dur, très dur... (rires) On écrivait toujours nos scénarios sur le plateau. Si on m'a laissé devenir scénariste, c'est avant tout parce que j'étais capable d'écrire très vite. Quand j'arrivais sur le plateau, le réalisateur me disait "Je veux tourner ça, écrivez-moi quelque chose!" Donc on n'avait pas trop le temps de se poser des questions, il fallait immédiatement enclencher la vitesse supérieure. Et l'argent, il valait mieux ne pas trop y penser! C'était comme ça! (rires) Mais le plus important, c'était de savoir donner une réelle consistance à ce qu'on écrivait, de structurer ses histoires. Quand j'ai fait mes débuts de scénariste dans l'industrie du cinéma Hong-kongais, tout le monde se fichait de savoir si un scénario était bien construit. La pratique la plus courante à cette époque était de recycler des formules qui avaient déjà fait leurs preuves. La plupart des scénarios étaient copiés sur d'autres films. Je faisais vraiment partie des rares à essayer d'avoir un peu d'originalité. Je n'ai jamais copié et je me suis toujours battu avec les réalisateurs pour éviter le recyclage d'autres scénarios. C'était dur, mais fun.
D'où proviennent vos influences majeures?
Mes influences viennent surtout du théâtre. J'ai mis en scène pas mal de pièces quand j'étais plus jeune. Ce qui m'a vraiment surpris quand je suis entré dans l'industrie du cinéma, c'était l'inorganisation des professionnels par rapport aux amateurs! Quand nous faisions du théâtre, nous, nous étions très organisés! Je pense que j'ai apporté cet esprit dans mon travail au cinéma, le sens de l'organisation, de la structure, du scénario, et une certaine dimension humaine...
Quand avez-vous commencé à sentir que votre carrière décollait véritablement?
Tout a vraiment commencé pour moi avec Stand behind the Yellow Line. C'était un petit film, mais ce fut le premier succès de Leslie Cheung. Avant ce film, Leslie était vu comme un poison du box office Hong-kongais. Les producteurs étaient même prêts à septupler le salaire de n'importe quel autre acteur plutôt que d'engager Leslie ! Il a fallu se battre pour avoir Leslie, mais nous avons finalement gagné notre pari. Ce film marquait aussi les débuts de Maggie Cheung et d'Anita Mui. Nous avons eu pas mal de nominations aux Hong Kong Film Awards pour ce film, dont une pour le scénario, et Anita Mui a remporté le prix du Meilleur Second Rôle Féminin. Tout cela nous a vraiment rendus très heureux.
Comment d'une manière générale, choisissiez-vous les acteurs de vos premiers films?
Là aussi, j'ai eu de la chance. En fait, ce sont les acteurs qui me choisissaient. Grâce à Behind the Yellow Line, je suis devenu très ami avec Maggie Cheung, Anita Mui, Leslie Cheung... Ils savaient que j'étais doué pour créer des personnages. Sur The Big Heat, il y a eu pas mal de remaniements dans la production, mais au scénario, j'ai tenu bon. Donc on a continué à entendre parler de ce jeune scénariste capable d'assumer tout un film, même dans des conditions de production difficiles. Quand j'ai réalisé mon premier film, on n'a pas mis mon nom au générique. Et je me rappelle que George Lam m'a alors dit: "C'est ton nom qui devrait être au générique, parce qu'il n'y a personne d'autre quoi que toi qui connaisse mieux ce scénario..." Je n'étais personne aux yeux de l'industrie à cette époque, mais grâce au soutien et à l'amitié d'acteurs comme George, j'ai pu prendre de l'assurance et m'affirmer comme réalisateur. Et le bouche à oreille est tellement important dans ce milieu... tout le monde parlait d'un "jeune réalisateur très spécial, vraiment différent"... Je n'ai jamais eu de relations vraiment très intimes avec qui que ce soit dans le métier, mais j'ai eu de la chance qu'un certain nombre d'acteurs et actrices m'apprécient et viennent me trouver.
Comment définiriez-vous le style Gordon Chan?
(rires) Je n'ai jamais eu de style à proprement parler. En fait, je n'aime pas du tout cette idée de "style". Ce que j'ai, c'est la passion du cinéma et de la nature humaine. Je veux tourner des films sur et pour les gens. Je veux que les gens qui voient mes films oublient que j'en suis le réalisateur et ne se rappellent que des personnages et des mondes que j'ai créés, en espérant que cela leur donne foi en l'être humain.
Savez-vous ce que le public Hong-Kongais attend de vous ?
Je pense que le public Hong-Kongais connaît ma façon de raconter des histoires et qu'il veut avant tout que je reste fidèle à moi-même. Il sait aussi que je fais toujours beaucoup de recherches sur les sujets de mes films, que mes personnages sont à chaque fois nouveaux, et je pense que c'est ce que les spectateurs veulent. Ils savent aussi que je ne suis pas très porté sur la violence, mais que je suis capable de réaliser des scènes d'action très excitantes. Ce qu'ils ont un peu oublié aujourd'hui, c'est que j'étais à l'origine un réalisateur de comédies, pas de films d'action! Je crois que j'essaie toujours de rappeler ça dans mes films: "Rappelez vous que j'étais un réalisateur de films comiques, souvenez-vous de Fight Back to School!" (rires) Maintenant, quand le public ne voit pas des acteurs avec des flingues, il est déçu, mais moi je serais déçu de ne faire que ça! Mais j'aime la relation de confiance que j'ai su établir avec le public Hong-Kongais. Ils savent que je me donne à fond quand je fais un film, que chaque film fait partie de ma vie, ce ne sont pas juste des produits.
Parlez-nous de vos films avec Stephen Chiau. Quelle sorte de relation entretenez-vous avec lui?
La série des Fight Back to School a été l'une des meilleures expériences de ma carrière. En gros, nous improvisions tous les jours sur le plateau. J'adorais poser tous les jours des nouveaux défis à Stephen et Ng Mang-Tat, je voulais vraiment voir de quoi ils étaient capables. Je me souviens qu'un jour, même, je me suis assis derrière la caméra avec toute l'équipe, et j'ai dit à tous les deux: "Je ne bougerai pas la caméra tant que vous ne montrez pas tous les deux tout ce dont vous êtes capables dans cette scène!" Et ils se sont mis à improviser tous les jours en cherchant sans cesse à se surprendre l'un l'autre. C'était fantastique et vraiment drôle. Stephen a mûri très vite en tant qu'acteur. C'est aussi un très bon réalisateur et un très bon scénariste. Il savait déjà à l'époque de King of Beggars qu'il voulait passer derrière la caméra, ce dont je l'ai d'ailleurs encouragé à faire. Bien que nous ayons beaucoup de choses en commun, nous avons des styles très différents. Ainsi, ce serait très difficile pour nous de partager la chaise de réalisateur sur un film! Mais j'adore son travail.
J'imagine que c'est très différent avec Jet Li...
Avec Jet, c'est bien sûr très différent. Avec Stephen, je partage le travail d'écriture. Nous explorons les personnages ensemble, nous improvisons beaucoup. Ma relation avec Jet est avant tout basée sur un rapport de confiance. Fist of Legend représentait pour lui une expérience nouvelle, il n'avait pas fait ce genre de film avant. Certes, son personnage est un excellent combattant, mais c'est surtout, par essence, un anti-héros, un personnage véhiculant un important conflit intérieur. Je ne voulais pas d'un personnage qui s'exprime d'une manière très dramatique, mais qui, au contraire, contienne beaucoup ses d'émotions. Pour Jet Li, ce n'était pas évident. Mais il a décidé de me faire confiance. Je n'ai pas travaillé avec lui comme habituellement le font les autres réalisteurs de kung fu. Je cherchais moins les effets mélodramatiques, je cherchais plus la tension que l'explosion immédiate. Et quand j'ai parlé de tout ça avec Jet, il m'a dit: "D'accord. Ce que tu me demandes de faire, je le ferai". Et moi aussi, j'avais besoin de ce rapport de confiance. Car je réalisais là mon premier grand film d'arts martiaux. Sans le soutien total de Jet Li, il aurait été très difficile pour moi de faire ce film. Et puis étant gamin, Bruce Lee faisait partie de mes idoles. J'aurais vraiment détesté faire un mauvais remake de son film! Mais Jet Li m'a vraiment soutenu jusqu'à la fin.
Jet Li était-il aussi désireux de se perfectionner en tant qu'acteur sur le tournage de Fist of legend?
Jet était du genre à me dire: "Tu sais, Gordon, je pense que je ne suis pas un très bon acteur..." Ce à quoi je lui répondais: "C'est pas vrai, Jet. Avec la vie incroyable que tu as eue, comment n'aurais-tu pas toutes les ressources pour un être un bon acteur?" Jet est une légende par lui-même. Toute sa carrière, sa vie, son histoire personnelle font de lui une véritable légende vivante. Et je pense que pour les personnes endurcies par la vie, comme lui, il est impossible de ne pas savoir endosser la défroque et les émotions d'un personnage "dur". Et c'est exactement ce que je voulais. Je ne voulais pas d'un mec tout en muscles imitant la vie. Non, je voulais quelqu'un de vrai, qui comprenne les aléas de la vie, les émotions et les pensées du personnage. Et Jet Li était vraiment capable de sentir ce personnage dans toute sa profondeur. Il me demandait souvent à propos du comportement à tenir: "Tu es sûr que c'est bien ça?" Et je lui répondais: "Mais oui! Je ne veux pas te voir faire des choses inutiles. Je veux juste que tu comprennes, que tu ressentes intimement ce personnage". Et je savais qu'il en était capable. Quand vous posez à Jet des questions sur sa vie privée, il vous raconte tellement d'histoires, toutes ces expériences difficiles, ces moments durs qu'il a du traverser... Alors, croyez-moi il est tout à fait capable d'incarner un personnage devant une caméra!
Parlons maintenant de Beast Cops. Est-ce que l'écriture de ce film, qui concerne les liens parfois flous entre la police et les triades, vous a contraint à une certaine auto-censure?
Quand j'ai fait Beast Cops, la crise de Hong Kong était à son point culminant. Et nous savions que ce film allait perdre de l'argent. C'est pourquoi nous avons réduit les coûts de production au maximum. Mais la compagnie faisait vraiment pression sur nous pour que le film soit réalisé, elle en avait besoin tout simplement pour garder la tête hors de l'eau. Beast Cops est un film très personnel pour moi. Comme un cri de rage, un défoulement par où est passée toute ma tension! (rires) Les triades n'étaient pas un problème. La seule auto-censure concernait les dialogues. A Hong-Kong, figurez-vous que les acteurs ne peuvent jamais dire de gros mots! On peut voir "Fuck!" écrit à l'écran, mais interdiction d'entendre ce même mot dit en cantonais! Si l'on entend ce gros mot prononcé dans le film, alors on écope d'une interdiction aux moins de 18 ans. Je déteste vraiment ces restrictions, mais c'est pourquoi personne ne jure dans le film! Mais dans le monde des triades, vous savez, tout le monde jure!
Dans le monde du cinéma, aussi...
Oui, c'est vrai! (rires)
Dans Beast cops, les personnages parlent directement à la caméra. Cela fait bien sûr penser à la Nouvelle Vague, à Godard. Mais pourquoi, personnellement, avez-vous choisi cette approche?
En fait, cela vient de mon expérience théâtrale! (rires) J'ai lu beaucoup de pièces allemandes, dans lesquelles fréquemment les acteurs parlent au public et leur rappellent que ce n'est jamais que du théâtre! C'est ça que je voulais faire dans Beast Cops, dire au public que ce n'était jamais qu'un film mais en même temps inscrire ce film dans la réalité, rappeler au public que les films sont aussi un reflet de ce que nous sommes, de qui nous sommes. C'est très important pour le peuple Hong-Kongais de réfléchir à sa condition, à son identité. Beaucoup de gens vivent encore dans l'incertitude de l'avenir. En 1997, nous nous attendions à accueillir un véritable démon communiste. Nous étions prêts à nous battre. Mais ce démon n'est jamais venu. A la place, il y a eu la crise économique, le piratage des films, il semblait pendant un moment qu'il n'y eut plus de voie de sortie. Beast Cops parle de cette voie apparemment sans issue, et tente d'exorciser les problèmes de cette époque, de faire le point et d'affirmer un certain optimisme.
Passons à Young and Dangerous. Ces films et leur clones ont été accusés de glorifier les triades. Quelle est votre opinion sur ce point?
Il y a deux aspects dans cette histoire de glorification. Le premier, c'est cette censure sur le langage qui fait que les membres des triades ont l'air finalement si polis... Pas un seul gros mot! Ils parlent comme des professeurs! Rien n'a l'air vrai à cause de ça! Donc le premier aspect, c'est cet affadissement des personnages pour satisfaire la censure. Le deuxième, c'est cette dimension tellement irréaliste. On ne peut pas trouver des triades comme ça à Hong Kong! Ni même ailleurs! Quand on parle des triades, à Hong Kong, il ne faut pas seulement penser aux grands malfrats corporatistes, il faut aussi penser au monde underground des petits délinquants qui vivent de leur association avec les triades. Et puis il y a le jeu, la prostitution... La question des triades est très complexe. Je me suis un jour disputé avec un journaliste britannique qui me demandait: "Pourquoi glorifiez-vous autant les triades?" Mais lui-même ne comprenait rien aux triades. Elles sont composées à 80% de gens pauvres. Seul un faible pourcentage concerne les vrais "gros poissons", ceux qui sont vraiment dangereux.
Mais l'industrie du cinéma a souvent eu affaire à ces gros poissons...
Oui. Moi-même j'ai dû leur faire face, je les hais sincèrement, mais cela ne veut pas dire que je dois les haïr tous.
Parlez-nous de votre amitié avec Dante Lam, votre assistant de longue date, qui vient de signer un deuxième film remarquable, Jiang Hu, the Triad Zone...
Dante était mon assistant sur The Yuppie Fantasia, c'était un jeune homme très enthousiaste, il venait juste de finir ses études. Il est venu me voir un jour, m'a demandé s'il pouvait travailler avec moi, et je lui ai dit oui. Et je lui ai appris ce que je savais. Et nous travaillons ensemble depuis maintenant longtemps. Je crois bien que ça fait 16 ans... (sourire) Nous avons connu des hauts et des bas tous les deux. Une année de vaches maigres, il a même été conducteur de taxi la nuit et mon assistant au bureau le jour... Je n'aime pas trop parler d'une relation professeur-élève en ce qui nous concerne. Je parlerais plutôt d'une relation confraternelle. Et je suis si heureux de l'avoir vu mûrir en tant que personne et réalisateur. Et j'adore la façon dont il a réalisé Jiang-hu, the Triad Zone.
Quelles sont les différences essentielles apparues dans l'industrie du cinéma Hong kongaise après 1997?
Nous sommes maintenant plus organisés. Avant 1997, nous étions de véritables mercenaires, des pirates courant dans tous les sens pour tourner le plus vite possible. On disait même que nous faisions partie des triades, des 80% dont je vous ai parlé! (rires) Après 1997, nous avons obtenu le soutien du gouvernement. Et maintenant, nous pouvons aller trouver le bureau des tournages et dire: "Voilà, nous avons besoin de votre aide..." Ca fait quand même une grande différence! (rires) Avant 1997, le gouvernement ne nous considérait même pas comme une industrie. Mais maintenant, il prend très soin de nous, il a compris que c'est au contraire une industrie très importante. Il y a encore des progrès à faire, mais bon...
Nous avons besoin de travailler ensemble. J'ai commencé des coproductions avec le Japon depuis que j'ai créé ma compagnie de production il y a neuf mois. Nous avons fini deux projets, dont un avec Miike Takashi, Ichi the Killer. C'est en l'occurrence un très bon exemple de coproduction, puisque le film a été financé par Hong Kong, la Corée, le Japon et une compagnie européenne. Et c'est un film japonais! Ou, si l'on veut, un film asiatique. C'est comme ça que je vois le cinéma asiatique, capable de produire des films de grande qualité et de les distribuer dans de nombreux pays pour que nous puissions rivaliser avec Hollywood. Mais si déjà nous savons bien occuper ensemble le marché asiatique, alors nous serons en mesure d'avoir des retombées financières très intéressantes pour les producteurs de chaque pays. Quand on parle de 12 millions de dollars, c'est un gros budget dans les pays asiatiques, mais petit aux USA. Et c'est très difficile même pour un film asiatique de ce prix de rivaliser avec une grosse production américaine. Il faut changer ça, je crois sincèrement que si l'on confie plus d'argent aux producteur asiatiques, nous aurons des films meilleurs et capables d'affronter la concurrence hollywoodienne [comme c'est effectivement le cas en Corée du Sud actuellement, ndlr]
Votre dernier film sorti et projeté dans les festivals s'intitule Okinawa Rendez Vous. Pour vous, apparemment, il s'agit d'un retour aux sources...
Pour moi, Okinawa Rendez-vous a été de l'improvisation à 100%. C'était un film sans scénario, basé entièrement sur les personnages. C'était un projet très risqué sur le marché asiatique mais comme je n'avais qu'un mois pour écrire le scénario et un mois et demi pour le réaliser, il m'a semblé que l'improvisation était la meilleure solution. De plus, les acteurs n'étaient pas toujours disponibles durant cette période. Ils ont fait beaucoup d'allers et retours pendant le tournage. En gros, j'ai essayé de faire un film à la Wong Kar Wai avec un temps et un budget très limité. Tout le monde m'a dit "C'est du suicide! Tu ne vas jamais terminer ce film". Mais j'en suis assez satisfait. J'admets que j'ai fait quelques erreurs, surtout sur le personnage de Tony Leung Ka-fai. Si seulement je pouvais les corriger, le film n'en serait que meilleur. La plupart des gens qui ont vu le film m'ont dit qu'on avait l'impression d'être en vacances en le voyant, que c'était vraiment relaxant! (rires) Personne ne croyait que pour moi ç'avait un tournage extrèmement tendu, 24 heures par jour! Des négociations tous les matins, des réunions tous les soirs... Si vous pensez que le film est vraiment distrayant, alors j'ai réussi, mais moi j'ai encore du retard de sommeil à rattraper! (rires) Mais j'ai vraiment adoré tourner ce film, je pense que c'était très important pour moi de m'accorder cette "pause", et aussi de retrouver Leslie et Tony. Moi et Leslie parlons beaucoup de faire une "suite"... un autre rendez-vous quelque part! (rires) Peut-être en Italie. Ou en France...
Faye Wong faisait partie de vos premiers choix féminins pour le casting. Pourquoi ?
C'est une femme différente, vraiment spéciale, unique. J'étais férocement contre ceux qui me disaient:"Faye Wong ne sait pas jouer!" Savez-vous vraiment combien il est difficile pour une actrice de faire à une caméra et de l'oublier complètement? Faye fait partie de ces actrices. Elle possède beaucoup de confiance en elle-même et a de plus un timing impeccable pour la comédie. Seulement, elle est très difficile sur le choix des personnages qu'elle veut jouer. Elle ne veut pas jouer un rôle qu'elle n'aime pas. Mais c'est Faye, elle est comme ça. Cela ne veut pas dire qu'elle n'est pas professionnelle ou capable de jouer la comédie. Comme je l'ai dit, pour ce film, nous avons improvisé tout du long. Nous nous amusions beaucoup ensemble. J'aurais vraiment voulu que nous ayons tous les deux encore plus de temps pour faire ce film. Si je peux l'avoir dans un autre film, je n'hésiterai pas une seule seconde.
Peut-on comparer l'expérience d'Okinawa Rendez-vous à celle de Chungking Express de Wong Kar-wai ?
Je ne le pense pas. Wong Kar-wai et moi sommes très différents. Kar-wai est un réalisateur très intense, qui met beaucoup de pression sur ses acteurs pour obtenir le meilleur d'eux. Je me contente de créer un environnement agréable pour que les acteurs oublient la caméra, les conditions de tournage et puissent véritablement vivre leurs personnages et se sentir libres dans leur interprétation. C'est donc une approche très différente.
J'ai été assez surpris de la façon dont vous avez choisi les acteurs japonais pour Okinawa Rendez-vous. En fait, vous avez publié une annonce, et plus de 400 acteurs amateurs se sont présentés à l'audition...
Ce sont tous des amateurs, sauf Masaya Kato qui est un de mes bons amis. je lui ai dit: "Masaya, j'ai un rôle pour toi, mais pas encore de scénario, es-tu partant?" (rires) je lui ai dit aussi qu'il n'y avait pas beaucoup d'argent à la clé, mais qu'il y avait Faye, Leslie, Tony et moi! (rires) Le semaine suivante, nous étions tous sur le plateau, et il s'est beaucoup amusé lui aussi. Masaya Kato était le seul acteur japonais professionnel. La jeune femme japonaise est aussi une débutante, mais je l'ai choisie parce qu'elle a passé pas mal de temps à Hong-Kong et qu'elle parle pas mal le cantonais! [dans le film, son personnage révèle qu'elle a appris le cantonnais en regardant des films Hong-Kongais!] Tous les autres acteurs sont des amateurs. Mais j'adore travailler avec des amateurs. Je pense que n'importe qui peut être un acteur du moment qu'on reste fidèle à soi-même. Je ne crois pas tant que ça aux vertus du jeu scolaire.
N'avez vous pas peur de dénaturer l'identité Hong-Kongaise dans les coproductions ?
Pas tant que ça. Je pense que je fais vraiment attention à l'identité Hong-Kongaise dans mes films. Mais si mes coproducteurs japonais me demandent: "Voulez-vous plus d'éléments Hong-Kongais?", je réponds non. Quand on fait des coproductions, il s'agit moins de promouvoir le caractère national que de rassembler des perspectives de plusieurs horizons dans un film. Mais selon où le film est fait, je pense qu'il retient forcément l'identité du pays. Sinon, ça n'a pas d'intérêt.
Quand vous faites Okinawa Rendez-vous, par exemple, vous ne traitez pas du tout la question de l'identité dans cette partie très particulière du Japon...
Non, pas du tout. Okinawa est une juste une excuse permettant à un groupe de Hong-Kongais de s'évader de leurs vies quotidiennes et trouver finalement un sens à leur existence. Okinawa n'est qu'un arrière plan de leur histoire. Non, en fait, j'ai écrit une histoire qui ressemble beaucoup à The Killer de John Woo. Depuis que John Woo est parti à Hollywood, personne n'a fait de films comme les siens. Alors j'ai envie de refaire des films comme ça à Hong-Kong. John Woo est un de mes maîtres. J'aime ses films, des films avec des "vrais mecs" qui se serrent les coudes quand les temps sont durs, qui n'ont pas peur d'affronter la mort. Je pense que Hong-Kong a besoin de ce genre de films en ce moment!
C'est assez surprenant venant de vous...
Vous savez, j'ai travaillé pour John Woo pendant presque un an, de manière épisodique. Je le considère comme mon maître, d'ailleurs je ne l'appelle pas "John", je l'appelle "Prince" en cantonais! Et je pense que je suis l'un de ses plus fervents disciples! (sourire)
Pour finir dites nous quelques mots du scénario de The Cat de Nam Lai-Choi...
Vous avez même vu ça? (rires) C'était un projet pour le moins délicat... A l'origine, le film ne devait pas être tourné par Nam Lai-Choi, mais par Alex Cheung, un de mes mentors quand je suis entré dans le métier. A cette époque, il traversait une assez mauvaise passe. Choi m'a demandé si je pouvais écrire le scénario pour lui, et j'ai accepté, sans être rémunéré. En fait, c'est un scénario qui a été écrit à plusieurs, avec notamment Chan Hing-Kar. Finalement, nous avons eu un conflit avec les producteurs et nous avons été virés du projet, avec Alex, alors je ne sais pas trop ce qui est advenu du scénario par la suite. En fait, le film est adapté d'un roman d'un auteur que j'aime beaucoup et qui m'a donné envie de m'essayer encore à la science-fiction depuis lors !
Un dernier mot sur vos activités de producteur?
J'essaie en ce moment de réunir le meilleur de Hong Kong et le meilleur d'Hollywood. Le cinéma asiatique est plein d'énergie mais encore très désorganisé. Nous sommes très bons pour trouver des idées, mais pas encore trop pour organiser le financement, faire la promotion de nos films et les distribuer à l'étranger. J'ai créé une société de production pour justement travailler sur toutes les faiblesses du cinéma Hong-Kongais. Il nous faut de meilleurs financements, de meilleurs scénarios, une meilleur postproduction, et une meilleure publicité. Il faut qu'on arrive à rivaliser avec Hollywood. Hollywood est un univers très, voire trop bureaucratique, très organisé, à l'écoute des marchés et très performant dans le domaine du marketing. Ils étouffent un peu trop les créateurs, les artistes. Ce que je veux faire, c'est avoir d'un côté la rigueur structurelle d'Hollywood et de l'autre un plus grand respect de la création, de l'artistique. C'est ce que nous allons essayer de faire: nous battre pour la liberté des créatifs, et augmenter les valeurs de production des films pour qu'ils puissent être commercialisables partout dans le monde. C'est un projet difficile, mais pour l'instant je suis assez satisfait des essais que nous avons réalisés, comme le film japonais de Miike Takashi.