A l'occasion de la sortie de The Host, troisième film de Bong Joon-ho, Aurélien a pu s'entretenir avec le réalisateur coréen ; l'occasion de revenir sur son film, de discuter de ses projets et de faire le point sur un cinéma coréen aujourd'hui confronté à de profonds bouleversements.
Autour de The Host
On peut constater dans le film que le monstre ne constitue pas du tout un mystère, puisqu’il apparaît dès les premières minutes. Pourquoi ce choix de mettre en place les personnages et le monstre de manière aussi brutale ?
Déjà, je voulais casser les conventions du genre. Par tradition, on doit justement attendre à chaque fois une heure environ avant de voir une queue de la créature, et je déteste ça. C’est pour ça que j’ai choisi de montrer la bête à la quatorzième minute, en plus en plein jour, en plein soleil, pour « attaquer » le spectateur quand il s’y attend le moins, quand il n’est pas encore préparé. Je pense que c’est pareil dans notre vie de tous les jours, en tant que spectateur, quand on fait face à une situation catastrophique, à un incident, à un accident, en voiture par exemple : ce n’est jamais au moment où l’on s’y attend que la voiture tombe en panne. C’est tout le temps quelque chose d’imprévisible, comme ici dans le film.
On vous a certainement posé pas mal de questions sur l’aspect critique du film. Critique d’un gouvernement coréen peu réactif, critique de l’omniprésence des Etats-Unis. Mais vous avez dit que vous faisiez en quelque sorte les films que vous voulez voir : peut-on en déduire que vous trouvez qu’il y a un manque de remise en question en Corée, un manque de critique, d’autocritique, que ce soit au cinéma ou dans la société en général ?
Oui, bien sûr, vu que les Etats-Unis ont un pouvoir vraiment immense, il faut se remettre en question et avoir une conscience critique vis-à-vis d’eux. Mais il est vrai que, même quand il y a un choc ou une collision des forces, il est très difficile de vaincre cet adversaire redoutable. Mais, bien sur, le cinéma n’y peut rien. Ce n’est pas parce que je fais un film que je pourrai changer en quoi que ce soit quelque chose. Mais il est important de toujours se remettre en question et de réfléchir à la situation actuelle.
En fait, je déteste les films politiques, les films qui veulent faire passer un message, les films de propagande. J’essaie justement d’insérer ces éléments-là à l’intérieur de l’intrigue, du drame, de la trame. C’est donc juste une partie du film, car je déteste les films qui ne sont qu’une satyre, qu’une critique… C’est quelque chose que je n’aime vraiment pas, et justement, ce que j’aime, c’est que dans mon film, il y a une histoire de virus, et qu'elle serve par exemple à la fois de satyre et d’intrigue.
Les projets
Avec Park Chan-wook et Kim Jee-woon, vous semblez partager des thèmes, vous partagez également des acteurs, et on retrouve cette touche de burlesque dans vos œuvres : peut-on dire que vous formez une petite famille ? Pouvez-vous décrire votre relation ?
Pour commencer, on est trois grands cinéphiles, et s’il y a un point commun, c’est que l’on adore collectionner les DVD en tous genres, des fois on se réunit même entre nous pour voir des DVD… Et on se passe des scénarios pour recevoir quelques critiques et commentaires des uns, des autres. Mais bien sûr, on a tous des styles différents, et s’il y a un point commun, c’est qu’on aime beaucoup les films de genre. En tout cas, on n’a pas d’appréhension concernant les films de genre. La seule différence, c’est que Kim Jee-woon est un peu plus dans la tradition, il respecte les films de genre et montre leur beauté, se concentre sur leur beauté, alors que moi, je passe par les conventions pour les casser ou alors je fais comme si j’allais vers les conventions d’un film pour après prendre une rue à côté. C’est vrai que ce qui nous réunit tous les trois, c’est l’intérêt pour les films de genre.
Une question que l’on poserait plutôt à la fin mais que je vous propose maintenant, de peur de manquer de temps par la suite : pouvez-vous nous parler de votre projet actuel, qui serait produit par Park Chan-wook, l’adaptation de la bande dessinée française Le Transperceneige ?
(Rires.) Oui, c’est vrai, Park Chan-wook sera le producteur et je serai le réalisateur. Mais ce ne sera pas mon prochain film. Il y a énormément de choses à préparer, donc le tournage commencera certainement en 2009 ou 2010. Pour l’instant, on est en train de chercher quelqu’un qui adapterait la bande dessinée en scénario. Il reste donc beaucoup de choses à faire.
J’en profite donc pour vous demander si vous pouvez nous donner quelques informations sur votre prochain film dans ce cas...
Oui, je suis en train d’écrire le scénario, c’est une histoire originale. Ca raconte l’histoire d’une mère. En fait, il y a en Corée une actrice légendaire, qui a dans la soixantaine maintenant, et c’est un rôle que j’ai écrit pour elle. J’aimerais commencer le tournage en automne prochain, mais je ne sais pas si j’y arriverai.
Le cinéma coréen d'aujourd'hui
The Host a fait plus de 13 millions d’entrées en Corée. A une époque où l’on parle beaucoup de la réduction des quotas en Corée, certains ont soulevé la question de l’omniprésence du film (jamais un film n’avait eu tant de copies en Corée) et se sont demandés si le film n’avait pas nuit à des œuvres coréennes plus discrètes, qui ont peut-être eu plus de mal à trouver leur public. Quel est votre point de vue sur la question, en tant que réalisateur de film à gros budget et en tant qu’auteur ?
Je ne saurais pas expliquer cet engouement, mais comme le film est sorti en été, c’est la saison pour les gros films, je pense que j’ai joué la compétition sur le terrain avec les blockbusters américains et que je n’ai pas pris la place par exemple d’un petit film.
Mais il est vrai que c’est quand même un gros problème dont il faut parler, car les petits films peinent à exister et ça devient de plus en plus difficile pour eux d’exister et de sortir dans les salles. L’état devrait beaucoup plus soutenir ces films-là. J’aimerais que cela entraîne un débat important sur ces films.
Pouvez-vous justement donner votre sentiment sur l’état du cinéma coréen actuel, après la réduction des quotas ? Quel est votre point de vue et quelles décisions vous semble-t-il nécessaire de prendre ?
Le cinéma coréen est très dynamique, même si les screen quotas ont été diminués de moitié. Le problème est qu’il est de plus en plus difficile de faire des films qui défient le système, qui sont originaux, et c’est vraiment l’argent qui domine, c’est le mauvais côté des choses. Et il y a également quelques compagnies qui ont la mainmise sur des cinémas, des multiplexes qui leur appartiennent, qui font de la distribution, qui investissent également et qui veulent en plus maintenant créer leur propre compagnie de production. C’est vraiment un problème, quelque chose qu’il faut éviter, et il faut faire très attention à l’avenir.
Comment expliquez-vous le succès d’estime de certains auteurs coréens tandis que d’autres, qui connaissent un succès parfois plus important à l’étranger, sont très controversés ? Je pense par exemple à la manière dont est perçu Hong Sang-soo par rapport à Kim Ki-duk…
On parle effectivement de Kim Ki-duk parce qu’il est vraiment considéré comme un marginal dans le cinéma coréen. C’est bien entendu quelqu’un qui a créé son propre monde cinématographique, son propre univers. Mais les critiques sont très divisées sur son cinéma : il y en a qui adorent, il y en a qui détestent. Mais par contre, concernant Hong Sang-soo, il est assez estimé en Corée. Bien sûr, ce sont des films d’art et essai, il ne fait pas des films que tout le monde regarde, mais il a quand même un petit groupe de fans, il est très apprécié. Et surtout, la critique le soutient beaucoup et adore ses films.
Mais ce sont surtout les femmes qui détestent Kim Ki-duk. (Rires.)
Bref, les deux réalisateurs restent très originaux et ont leur propre univers, et c’est quelque chose qu’il faut absolument leur accorder.
Question très vaste pour terminer cette interview : quel est votre point de vue sur le cinéma asiatique d’aujourd’hui, que ce soit en Chine, en Corée ou au Japon ? Quels sont les auteurs qui vous ont le plus marqué ? Il me semble par exemple que vous appréciez beaucoup le travail de Hou Hsiao-hsien…
Alors, je vais répondre comme ça, un peu en vrac… Il est vrai que j’aime beaucoup Hou Hsiao-hsien, les réalisateurs taïwanais comme Edward Yang. Le film de Hou Hsiao-hsien, City of Sadness, m’avait beaucoup marqué. En fait, quand j’étais à l’université, au ciné club, j’aimais beaucoup ces deux réalisateurs-là, également quand je fréquentais l’école de cinéma. Mais, maintenant, c’est quelque chose qui est plus loin, j’accorde beaucoup plus d’importance aux réalisateurs japonais. Disons que, juste après, j’ai beaucoup plus aimé des réalisateurs japonais comme Imamura ou Kiyoshi Kurosawa.
Concernant l’industrie, chaque pays a une industrie vraiment très différente, avec ses problèmes. Et je pense qu’il y a un besoin que l’on devienne beaucoup plus solidaires entre les pays asiatiques, car les pays sont toujours dominées par l’industrie du cinéma hollywoodien alors que nous partageons une culture qui est très proche, et en plus notre géographie est très proche. Par contre, malgré cela, c’est drôle car tout le monde regarde les films hollywoodiens, produits à l’autre bout du monde. Je pense qu’il y a vraiment un besoin d’échange culturel, ou d’échange cinématographique, beaucoup plus important. Et comme en Corée il y a le festival de Pusan, il devrait également y avoir d’autres festivals, un lieu d’échange entre les pays asiatiques. En tout cas, c’est un fait, les coréens voient plus de films hollywoodiens que de films singapouriens ou taïwanais. Il y a donc vraiment ce besoin-là, comme vous qui, en tant qu’occidentaux, présentez les films asiatiques. C’est, en Europe, quelque chose de bien, quelque chose qu’il faudrait même faire dans les différents pays asiatiques, entre eux.
Propos recueillis par Aurélien Dirler le 9 novembre 2006 à Paris.
Chaleureux remerciements à Pascal Launay, Kim Ye-jin et Bong Joon-ho.
Cette interview sera disponible en vidéo dans les semaines à venir.