En quelques plans et quelques notes, « Yiyi » a déjà embarqué son spectateur vers la richesse de son univers. Ce n’est que la première des prouesses que nous offre le Taîwanais Edward Yang pour le 7ème long métrage de son œuvre jusqu’ici peu diffusée.
« Yiyi » va débuter par un mariage et se terminer par un enterrement, boucle assez naturel pour un film sur la famille, et qu’on pourrait craindre d’un lourd symbolisme. Car, à priori, c’est dans le signifiant appuyé que risquerai de se développer le film : tandis qu’une grand mère est suspendue dans le coma, divers composantes d’une famille vont vivre des expériences attendues de leurs existences. Le père, NJ, nous balance sa crise de mi-existence et revisite son passé tandis qu’un montage habile nous invite à faire parallèles pour ce qui ce passez chez ses deux enfants. Mais le film n’est heureusement pas une mise en relation faisant de ses personnages des membres formels d’un long métrage éclaté. De la même manière qu’on est entré rapidement dans la matière du film, chaque personnage de l’œuvre fait son nid d’une part du film dés son commencement, existant non pour un message démonstratif à faire passer, mais pour eux mèmes.
Les enfants ne seront pas des reflets, ils existeront, fortement caractérisés : si Yang-Yang ressemble à son père, c’est aussi cinématographiquement un des plus impressionnants petit garçon qu’il nous ai été donné de voir depuis des lustres. Chahutés par les filles et prenants en photos ce que les gens ne peuvent pas voir, c’est un petit corps qui non seulement exprime le plus la démarche de cinéaste, mais aussi l’enfance tel qu’elle est, sans fioritures. Ting-Ting, l’adolescente, est aussi un personnage magnifique. Yang a eu une belle idée de suggérer sa responsabilité dans le coma de sa grand mère (des poubelles oubliées sur un balcon, tandis qu’elle observait sa copine batifoler) ; fragile et en suspend, sa survie sera un des enjeux du film.
Il faut dire que du côté des parents, c’est pas la joie. La scène ou Min Min éclate en sanglot est bouleversante : elle n’a plus rien à raconter à sa mère qui va mourir, sinon sa routine quotidienne. Le père, NJ, va lui affronter deux tempêtes, se retrouvant au point le plus critique de sa vie professionnelle, et retrouver son premier amour inabouti. La force du film est immense pour décrire la dépression nonchalante de ce personnage, son spleen quotidien né de son trauma sentimental.
Dans « Yi Yi », la grande réussite du cinéaste tient finalement à être parvenu à restituer un état de fait palpable mais peu aisé à figurer : celui de la banalité la plus pure nourrie d’un extraordinaires en amont et en aval. L’extraordinaire est notre quête du bonheur, bercée par les rêves et les expériences du passé, l’idée fixe de la seconde chance. Particulièrement révélatrice, une scène : Ting-Ting boit un coca avec l’ex boy-friend de son amie Lili : ce dernier lui raconte une phrase de son oncle, à savoir que le cinéma permet de goûter à des expériences que nous ne connaîtrons jamais, le meurtre. Prise dans son quotidien, Ting-Ting ne réagit pas autrement que par l’incrédulité devant l’exemple du meurtre. Pourtant, lorsque le gars qui lui aura raconté cette histoire aura tué quelqu’un sauvagement par résultante de disputes vues tous les jours, cet extraordinaire ce sera produit de façon spectaculaire.
C’est une chose que l’on ne prévoit guère, atteindre le bonheur, et ça ne s’opère pas souvent par ce que l’on croit. Interlocuteur représentatif, le japonais Ota va catalyser ce point de vue en le démontrant à NJ ce qu’est la place de la magie, dans sa société en crise ou dans la vie. La relation entre ces deux hommes est magnifiques. Quittant leurs deux langues respectives, ils parlent en anglais, et ce qui se fabrique de leur tête à tête est beau et unique.
Universel, « Yiyi » l’est donc. Et ce qu’il propose, ce n’est pas de s’identifier à un personnage, mais à tous les personnages. C’est un tour de force… On sourira de nostalgie devant les fantasmes de gosses de Yang-yang (un visage de fille devant un écran de ciné montrant un orage), on sera agacé de jouer les intermédiaires comme Ting ting, ayant comme elle parfois du mal à dormir. La quête de spiritualité un peu veine de Min Min s’adressera à nos recherches, nos fuites. Quand aux regrets, actes manqués et brutalité du premier amour de NJ, quelque soit son point de maturité dans la vie, ils parlent au plus profond des expériences d’êtres humains. Seul la Grand Mère reste mystérieuse et fantomatique. Yang-yang ne sait pas ou elle est allé, la mort est un lieu véritablement mystérieux. Mais la quête du petit garçon, comme celle d’Edward yang, est de découvrir ou est allé sa grand mère. Montrer aux gens leur zones d’ombres, « ce qu’ils ne peuvent pas voir », c’est déjà filmer des angles morts et s’approcher de la fin en filmant ce qui essaie d’exister. Cela a un autre nom : la vie. Si le cinéma peu arriver à capter et à sublimer des aspects de la vie, Yang lui est parvenu à un exploit absolument unique et rare : la vie, il a réussi à la filmer dans la beauté de sa généralité.